Le loup, bouc émissaire
Posté par othoharmonie le 3 mars 2012
Quoi qu’il en soit, l’objet phobogène passe du domaine de la réalité objective à celui des valeurs symboliques. Il prend place dans une imagerie mentale souvent effrayante. La peur est donc d’autant plus intense que l’on a de l’imagination. C’est le revers de la médaille pour l’homme, qui en est relativement bien doté. Parmi les fantasmes très archaïques, celui de la dévoration est récurrent. Ces productions imaginaires serviraient à une réalisation symbolique d’un désir inconscient. Le loup, symbole du « ça » ou de l’ « ombre » dans les contes et dans l’imagerie mentale, permettrait donc à celui qui l’imagine de réaliser virtuellement les pulsions qu’il est contraint de refouler. Le loup serait alors un « défouloir », c’est-à-dire un bouc émissaire.
Une typologie des peurs a été tentée par Mannoni. Celui-ci distingue avant tout les « peurs sacrées » – les dieux sont fils de la peur – des « peurs profanes », relatives à tout ce qui est nouveau et, donc, inquiétant. Les peurs sacrées sont issues d’un sentiment généralisé de culpabilité à l’égard des dieux. La peur de la colère des dieux a justifié nombre de sacrifices et bien au-delà des autels. Ni la pitié, ni l’innocence éventuelle des victimes ne pouvaient résister à la fureur collective. Pour exorciser la culpabilité et la peur de la sentence divine, les boucs émissaires se sont succédé, bien avant et bien après l’Inquisition : les Turcs, les Juifs, les hérétiques, les femmes, les sorcières… C’est également le cas du loup, affublé de traits sataniques au Moyen Âge.
« Cette réparation de l’angoisse collective s’accomplit d’ordinaire par la désignation d’un bouc émissaire. Son expulsion, son exécution symbolique ou effective massivement pratiquée amène la résolution de l’état de tension. » (MANNONI, 1988, 120). Ainsi, l’éternel retour de la rumeur sur un même objet peut être considéré comme le révélateur de la présence d’un bouc émissaire : « Toutes les sociétés vivent leurs grandes crises comme des punitions : il faut alors chercher des boucs émissaires chargés inconsciemment des péchés de la collectivité. D’autre part, face à une crise inexplicable, désigner un coupable, c’est trouver la cause du mal, donc effectuer un pas vers sa résorption. Les coupables potentiels sont toujours les mêmes : les étrangers, les mal intégrés dans la collectivité, ceux qui n’en partagent pas les croyances. » (KAPFERRER, 1987, 144).
La diffusion des peurs de masse connaît, selon Mannoni, trois principales formes : les rumeurs, les « contagions » et les psychoses collectives. « Qui dit rumeur dit peur », décèle J. Delumeau. (cité par MANNONI, 1988, 102). Il y aurait deux conditions pour voir naître une rumeur : qu’il s’agisse d’un événement important (qu’il fasse peur serait idéal) et que l’information soit ambiguë. En fait, la majorité des rumeurs se forment d’une inquiétude latente. Les « contagions » sont des phénomènes bien plus étranges où les individus d’un univers clos ou semi-clos sont très vite contaminés comme par une maladie contagieuse. Elles ne sont pas très éloignées des psychoses collectives. Ces dernières, sont légion dans l’histoire et ont causé exodes de populations entières, massacres, panique des armées, génocides (celui du loup, y compris). Les médias seraient en partie responsables de ces psychoses. Les puissants moyens modernes de communication de masse et de diffusion de l’information jouent, comme on s’en doute, un rôle déterminant dans la mise en circulation de nouvelles mal contrôlées.
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