Entre robes et huîtres
Posté par othoharmonie le 1 juillet 2016
Laurence Mahéo a opté pour une double vie afin de ne pas choisir. Elle navigue entre ses parcs à huîtres bretons et ses collections de mode éthique et chic.
Petit gabarit, traits fins, cheveux bruns et longs, voix ténue, regard franc et… un peu tendu. Laurence Mahéo n’aime pas beaucoup se raconter. Elle cherche malgré tout à être la plus sincère possible, navigue avec élégance entre plaisir et devoir, curiosité et exigence. Exactement comme elle mène ses multiples vies professionnelles.
Le stylisme, autant que Laurence Mahéo s’en souvienne, l’a toujours accompagnée. « Depuis l’âge de 9 ans, je fabrique mes propres robes, mais j’ai mis longtemps à réaliser que c’était un métier », s’amuse-t-elle. Pour l’ostréiculture, c’est une autre histoire…
Très jeune, elle se met à travailler. A 16 ans, elle vend des jeans dans le magasin en bas de chez elle. A 17 ans, elle abandonne ses études. « Je ne supportais pas l’école, dit-elle. L’autorité, la contrainte, je ne peux pas ! » Vendeuse, directrice de magasin, c’est déjà de mode dont il est question. A 24 ans, elle ouvre une boutique aux puces de Saint-Ouen. « Il y régnait un esprit festif aujourd’hui disparu. Je vendais de la fripe, des pièces pour collectionneurs ou nécessiteux. Bien loin du vintage qu’on nous propose pour tout et n’importe quoi. » Elle intègre finalement un grand groupe de prêt-à-porter où elle est chargée de la création et de la recherche de tissus. Mais à nouveau, comme au lycée, le poids de la répétition, de la contrainte, se fait ressentir. En 2005, elle décide de travailler à son compte. Dans son appartement, aidée de la vieille machine à coudre de sa grand-mère qui fait un bruit infernal, elle transforme sa vocation en métier. Elle recompose des vêtements à partir de nuisettes anciennes ou de chemises pour homme. Des pièces uniques au luxe poétique qui mettent la beauté des matières naturelles en exergue. Succès immédiat. Sa marque, La Prestic Ouiston, est née. Un an après, Laurence Mahéo perd subitement son père alors qu’elle attend son premier enfant.
« Une semaine après les obsèques, raconte-t-elle, ses salariés sont venus me voir : qu’allait devenir l’entreprise d’ostréiculture ? J’ai répondu à leur demande, bien plus que je n’ai décidé quoi que ce soit. Tout s’est enchaîné : reprendre la société, comprendre comment ça fonctionnait, mettre au point des produits, les vendre… L’ostréiculture est un univers passionnant. Ce métier m’a accompagnée dans mon deuil. J’adorais mon père, je ne pouvais pas abandonner ce qu’il avait tant aimé. » On lui avait prédit qu’elle ne résisterait pas plus de trois semaines dans ce monde rude. C’était il y a six ans.
La mode est alors mise en veilleuse. Jusqu’à une discussion avec Régine Béraud, à l’époque directrice du style pour le Bon Marché, qui lui conseille de se faire plaisir : « Tu n’attends que ça. Reprends le stylisme, lui dit-elle, et on sera là pour toi. » Ce qui fut dit, fut fait. Le Bon Marché l’accueille sur deux expositions. En 2010, Laurence Mahéo redonne un second souffle à La Prestic Ouiston. Une nouvelle « première » collection voit le jour, confectionnée en France avec des étoffes naturelles et en petites séries. La boucle est bouclée : elle revient à sa première histoire d’amour sans abandonner son héritage affectif.
Comment vit-elle ce grand écart entre les boutiques trendy parisiennes et ses parcs à huîtres bretons ? « Je me sens fondamentalement entrepreneuse. Je me lève chaque matin frustrée de ne pas avoir réalisé toutes mes idées. » En attendant, Laurence Mahéo vient de rendre son mémoire ostréicole pour être enfin diplômée. Elle milite pour que les huîtres triploïdes, génétiquement modifiées, soient tracées comme on signale les OGM sur les emballages des produits alimentaires. Elle élabore la carte d’Atao (« éternel » en breton), son restaurant parisien ouvert avec son mari, en 2011, pour faire découvrir les produits de la mer made in Bretagne *. Ceux-ci, bien sûr, n’ont jamais vu ni congélateur ni micro-ondes. Elle signe une première collection capsule pour le site Anthropologie, ouvre un pop up store aux Galeries Lafayette et devrait faire rouler un camion à huîtres dans la capitale d’ici la fin de l’année. Entre autres choses. Sa respiration ? Son fils, Marceau. Tout est toujours question de transmission pour Laurence Mahéo.
* 86 rue Lemercier, Paris 17e.- par Fanny Dalbera – paru sur le magazine CLE.
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