LA THEORIE DU CRABE

Posté par othoharmonie le 27 mars 2016

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Nancy Rourke est artiste peintre américaine et vit à Denver. Une artiste Sourde créant pi-Sourd – Née Sourde en 1957, à San Diego, elle a fait des études en infographie et en peinture à l’Institut des Technologies de Rochester, à New York. En 2001, après une carrière en infographie, elle se remet définitivement à la peinture et participe à de nombreuses  expositions. Elle a mis longtemps à se lancer dans l’art Sourd, car selon elle, son identité Sourde était étouffée. En 2009, elle a le déclic pour oser créer et donner à voir, à son public, ce qui est pi-Sourd : politique, culture, art, histoire, deafhood, audisme, oralisme… 

Nancy se revendique, aujourd’hui, artiste De’VIA*. Son travail se situe au carrefour de plusieurs courants artistiques comme le fauvisme (Matisse, Derain, Vlaminck), le néo-expressionnisme (Basquiat et Matt Sesow), De Stijl (Mondrian) et, bien sûr, De’VIA*. 

L‘utilisation de couleurs primaires (rouge/bleu/jaune), de non-couleurs (noir/blanc), de couleurs contrastées, d’expressions et d’émotions intenses, de symboles sur un thème pi-Sourd forment son style. The Crab Theory (2011 – Huile sur toile – 20×25 cm) est une synthèse de ses influences artistiques. Laissons sortir les crabes… 

Ce tableau nous interpelle car il illustre la célèbre « théorie du crabe », américaine, largement répandue dans la communauté Sourde internationale, sous divers noms. Au Japon, « le poteau qui dépasse sera remis à sa place à force de coups ». En Australie et en  Nouvelle-Zélande, « le syndrome du grand pavot ». Cette théorie est utilisée pour illustrer les divisions qui règnent au sein de la communauté Sourde. 

L’image est simple et efficace : chaque crabe qui essaie de sortir du seau est  systématiquement tiré vers le bas par ses propres congénères. Au lieu d’en laisser un ou plusieurs sortir, ils se condamnent à rester tous au fond du seau. 

Par comparaison, tout Sourd qui essaie de donner vie à ses ambitions, ses rêves, serait rabaissé, ignoré par la communauté. Sans modèles forts, ambitieux et compétents, c’est ainsi toute une communauté qui souffre d’un manque de reconnaissance, et qui se  saborderait elle-même. Cette métaphore est profondément humaniste et résonne comme un signal. Sans valorisation de nos compétences, c’est vers une impasse que nous nous dirigeons. 

Dans ce tableau, le crabe jaune-rouge, en haut, est George Veditz (1861-1937), l’un des plus influents leaders en faveur de la Langue des Signes. Il a réussi à marquer la communauté Sourde américaine, malgré l’hostilité des oralistes et la jalousie de certains Sourds. Il fut le premier au monde, en 1910, à filmer des échanges signés, pour en garder la mémoire. Ce qui était révolutionnaire, puisque la Langue des Signes nécessite un support visuel pour  perdurer. 

Ce tableau est intéressant car il donne à comprendre qu’il existe peu de moyens pour garder trace de notre histoire, de nos valeurs, les donner à voir, et les partager. L’art en est un. L’art est un témoin. Nous, artistes, nous sommes porteurs, révélateurs, et narrateurs de notre culture, celle des signes et de l’expérience Sourde. Le besoin du double support de la  communauté Sourde et de celle du monde environnant est vital pour la reconnaissance de notre existence. Le défi est lourd. Alors, en art ou ailleurs, chacun est à sa place et ceux qui réussissent tirent tous les autres vers la lumière. Laissons donc les crabes s’échapper du  seau. 

*De’VIA est un mouvement d’art américain définissant les artistes Sourds créant pi-Sourd.

Site web de Nancy Rourke : www.nancyrourke.com

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