Les mythes de chant du cygne

Posté par othoharmonie le 20 novembre 2015

 

 

Chant du cygne« Peu importe qu’une histoire soit vraie, pourvu qu’elle soit belle », disait Giono. C’est donc en guise d’introduction, pour ne pas y revenir et comme on s’acquitte d’une basse besogne, que je l’affirme ici : les cygnes trompettent, sifflent, drensent, drensitent, mais le chant du cygne, hélas, CA N’EXISTE PAS !.. tiens, à propos d’hélas… c’est aux Grecs, une fois de plus, que nous devons cette légende : et comme les légendes ont aussi des histoires… voici celle du chant du cygne. 

Il y eut, bien entendu, des précurseurs, et non des moindres: au Xème siècle avant notre ère, un aveugle divin du nom d’Homère effleura timidement la chose en l’hymne XXI de l’Iliade… et, cinq-cents ans plus tard, ce fut au tour d’Eschyle, par la bouche de son Agamemnon, d’en faire autant, mais de manière encore plus timorée.  

Il fallut attendre le Phédon de Platon pour que le chant du cygne fît une entrée fracassante et triomphale dans la littérature occidentale… fracassante et triomphale, certes, mais tragique, en cela que Socrate, emprisonné, sur le point de se faire exécuter, accueillait en sa geôle ses anciens disciples… et voici ce qu’il répondit à ces derniers, qui, naturellement, hésitaient à questionner une ultime fois son immense sagesse : 

A ce que je vois, vous me croyez inférieur aux cygnes pour la divination. Quand ils sentent approcher l’heure de leur mort, les cygnes chantent ce jour-là plus souvent et plus mélodieusement qu’ils ne l’ont jamais fait, parce qu’ils sont joyeux de s’en aller chez le dieu dont ils sont les serviteurs. 

Socrate et Platon l’avaient dit. Le mythe était né. 

Le dieu dont il est question dans l’extrait, c’est Apollon : dès son plus jeune âge, le futur dieu du soleil, de la beauté, de la grâce, et, partant, de la musique, se vit offrir par son Zeus de père un magnifique char d’or céleste – tiré par trois immenses cygnes blancs et majestueux, s’il vous plait !.. ces oiseaux, dès lors, devinrent son emblème, et, sacrés, peuplèrent de leur silhouette sereine et gracile ses nombreux sanctuaires pourvus d’un plan d’eau. 

C’est par un glissement tout naturel que l’on finit par prêter les talents du maître aux serviteurs, et puisque Apollon passait pour le meilleur musicien de tous les temps, les cygnes furent bientôt tenus pour des volatiles au chant divin… mais seulement en des circonstances exceptionnelles, au moment de mourir, où, sentant venir leur dernier souffle et sur le point d’aller rejoindre leur dieu tutélaire, ils entonnent à sa gloire un chant d’une incroyable beauté, reproduisant aux oreilles humaines le miracle d’Apollon.

 

Par la suite, un nombre impressionnant d’auteurs, de tous les horizons, de toutes les époques, entretinrent pieusement cette étincelle, jaillie du détour d’une plume antique, et firent d’elles un feu de joie : un chroniquer des Croisades n’écrivit-il pas « contrefaisant le cinne qui chante quand il doit morir », Shakespeare ne fit-il pas dire à son Emilia mourante « je veux imiter le cygne et mourir en musique », Franz Schubert n’appela-t-il pas son dernier recueil de lieders Le chant du cygne, Marcel Aymé ne lui consacra-t-il pas l’un de ses plus émouvants Contes du chat perché?.. bref, en 1798, ce fut la consécration : le très sérieux dictionnaire de l’Académie Française enregistra notre locution comme se rapportant au « dernier ouvrage d’un grand poète, qu’un homme a fait peu de temps avant sa mort » ! 

Le chant du cygne, donc… bien qu’il ne soit que pure affabulation, car, ainsi que Pline l’Ancien l’avait déjà remarqué, les cygnes sont muets, sa légende est parvenue jusqu’à nous de la plus belle des manières, consacrée par les arts, trônant au sommet de notre imaginaire poétique !.. mais au fond, pourquoi – car après tout, nous avons cessé de croire en Apollon ?.. je n’en sais rien. Peut-être en avons-nous tout simplement besoin, pour adoucir à nos yeux la mort d’un si bel animal, ou bien la mort en général… peut-être recherchons-nous tous, quelque part, notre chant du cygne.  

Source :  http://www.les-vegetaliseurs.com/

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