FEMMES PANTHÈRES : À LA RENCONTRE DE CES PRÉDATRICES DE LA NUIT
« Vous avez réussi à nous reconnaître ? ». La question est posée par Pascaline, la figure maternelle des Femmes Panthères. Comme s’il pouvait en être autrement. Comme si Armentières, ville où elle et sa fille se terrent, abritait d’autres créatures aussi excentriques. Personnages atypiques de la vie dans le Nord, les Femmes Panthères font partie de ces personnes à la fois rares et omniprésentes : visibles aussi bien dans les soirées importantes de Lille qu’en allant faire ses courses au Monoprix du coin.
C’est au Vivat à Armentières, leur fief, que l’on s’est donné rendez-vous. Ne sachant pas exactement où cette salle de spectacle se trouve, je papillonne dans les rues. Par chance, – si tant est que flâner sous la pluie pendant une dizaine de minutes à Armentières en soit une -, je finis par tomber sur elles. Me voilà rassuré. Passé les salutations de courtoisie, je leur avoue d’emblée quelle gêne j’ai d’être là, dans une tenue presque ordinaire, quand elles se parent d’un look dont même les plus grandes stars s’étonnent et n’en sont toujours pas revenues. Pas rancunières, le malaise s’évade rapidement et nous voilà marchant ensemble vers le Vivat. Suivre ces deux personnages excentriques, c’est un peu comme suivre des bêtes de foire. Les gens vous regardent, vous méprisent, vous sourient ou vous négligent. Vous vous demandez sans doute ce que fichent les deux Femmes Panthères dans cette petite ville du Nord de la France. C’est simple, si elles habitent là c’est parce qu’elles ont grandi ici et qu’elles s’y sentent bien. Ne cherchez pas plus loin.
Cela est d’autant plus étonnant quand on sait que les Femmes Panthères squattent le tapis rouge de Cannes depuis de très nombreuses années. Cela leur a même valu un slogan : « Cannes ne serait pas Cannes sans les Femmes Panthères. » Mais leur gloire ne s’arrête pas là. Résultat : des logos, des parodies, des statuts à Hollywood, des marionnettes géantes à Steenwerck,… La force de Pascaline et d’Esméralda, c’est en effet d’avoir réussi à entrer dans le milieu de la télé, du cinéma et de la mode sans en reprendre les codes et sans qualités artistiques apparentes. Dupes de rien, elles s’en sortent même plus que bien.
Pascaline, la maman féline
C’est loin, bien loin du Nord de la France qu’a commencé l’aventure des Femmes Panthères. « Je suis originaire de la Sierra, du haut plateau de la Vieille-Castille. C’est un village où le temps s’est arrêté il y a 500 000 ans. Un endroit où il n’y a pas d’eau, pas d’électricité. Il n’y a pas de monnaie non plus. C’est du troc en quelque sorte. C’est comme avant, mais vous n’étiez pas là avant. Moi non plus d’ailleurs.» Pascaline a raison, je n’étais pas là avant. Et c’est justement pour ça que je lui demande ce qui a bien pu se passer dans son Espagne natale, ce qui l’a incitée à changer de vie du jour au lendemain. « Je ne dirais jamais ce qui s’est passé dans mon village. J’ai simplement eu envie de m’habiller en panthère. Et puis ça m’a porté chance, alors j’ai continué. Plein de journalistes me l’ont déjà demandé. Mais je l’ai fait pour moi, et pas pour me faire remarquer ou gagner ma vie. Tant que je ne le dis pas c’est bien, mais si je le dis, ça va démolir le mythe. » Je n’en saurai pas plus. La discrétion de Pascaline peut être prise pour, au mieux, de la paranoïa, au pire, de la folie, mais elle s’explique par plusieurs rumeurs ou autres ragots à son sujet : « actrices pornos, prostituées, sadomasochistes,… » A côté de ça, les rumeurs évoquant des agents du FBI à leur sujet feraient presque figures de bonne blague.
Et pour sortir des blagues, Pascaline n’est jamais la dernière. Comme cette fois où elle rencontre un inconnu à Cannes : « une personne vient nous voir pour nous dire qu’il avait vu deux personnes comme nous à Lille. Je lui ai répondu qu’ils allaient devoir nous payer des droits d’auteurs. » Elle rit de bon cœur et repart sur une autre histoire, le signe astrologique de sa fille cette fois : « elle est gémeaux, c’est une catastrophe. N’épousez jamais une gémeaux, vous le regretteriez. Moi je suis bélier et nous sommes en conflits perpétuels. » En quelques mots à peine, Pascaline est capable de restituer une ambiance, de manière très simple et décontractée. Les mensonges ou autres tentatives marketing ? Très peu pour elle. « Quand j’ai dit que je venais du Nord, beaucoup ont fait la grimace. Pourtant, il n’y a pas que nous qui sommes d’Armentières. Dany Boon et Line Renaud aussi. Mais eux ils ont gagné de l’argent et sont vite partis. Mais ils aiment bien dire qu’ils viennent de là, ça donne un côté rural à leur carrière. »
Depuis plusieurs décennies, les Femmes Panthères trainent leurs guêtres dans tout ce que la France compte de luxueux : hôtels et clubs VIP. Leur spot favori ? Le festival de Cannes. Et des histoires insolites sur cette quinzaine, Pascaline en a des dizaines. « Y’a une petite blonde qui vient vers nous. Elle est était en train de faire un jogging, mais elle s’est arrêtée pour faire une photo avec nous. Personne ne l’a remarquée. Deux heures plus tard, tout le monde était autour d’elle. C’était Madonna. » Parfois, Pascaline en oublie même le sens des réalités : « Vous n’avez jamais vu Bill Gates ? Il ne vient jamais à Lille ? » Euh… Comment dire ? Pas vraiment, non ! Reste que Pascaline et sa fille sont fières de connaître toutes ces personnes, toutes ces stars. Et n’hésitent pas à le répéter régulièrement, « en plus de connaître toutes les prostituées de France et de Navarre, on connaît tout le monde dans le showbiz. » lâche-t-elle de façon très enthousiaste. Forcément, je lui soumets un petit test. José Garcia ? « Très sympa » ! Jim Carrey ? « Grandiose » ! Dany Boon ? « Un gentil mec » ! Jean Dujardin ? « Sa femme doit faire bien attention à lui » ! On peut dès lors décemment parler de succès.
Esméralda, la fille plantureuse
Au premier abord, pas facile de trouver un point commun entre Esméralda et sa mère. « Il y a une grande différence entre ma mère et moi. Elle est très attachée à ses racines alors que moi je m’en tape complètement. Si je pouvais, je m’achèterais un camping-car et prendrais la route. Si je reste là c’est parce qu’elle est là. On n’aime absolument pas les mêmes choses. Ma mère aime les grandes foules et moi les grands espaces. Moins je vois de gens et mieux je me porte. D’ailleurs, plus je vois les gens et plus j’aime les chats. » Plus que le propos, c’est la verve à la fois simple et franche d’Esméralda qui fascine ici.
Tout ça, cette manière de dire les choses et de les penser, de suivre son instinct et ses exigences, elle l’a appris en côtoyant des célébrités, toutes ces personnes issues du monde du cinéma qu’elle considère comme un « monde truqué ». « Par exemple, Emir Kusturica, je le vois tous les ans à Cannes. Est-ce vraiment nécessaire que je continue à lui courir après ? Et comme je suis moi aussi réalisatrice, je prends du recul avec tout ce glamour. Je ne fais pas une fixette sur les acteurs, plutôt sur les réalisateurs. Mais sans me prosterner pour autant. C’est un boulot comme un autre après tout. J’admire plus une personne qui va sauver la vie des gens. »
Paradoxalement, Esméralda se rend quand même tous les ans à Cannes et, à l’instar de sa mère, ne cesse de parler de ces personnes qu’elle refuse de considérer comme des stars. Alors, forcément, les commérages fusent : « de Cannes, j’ai deux souvenirs en particulier. D’abord, la fois où Whoopi Goldberg a arrêté sa voiture pour me demander de faire une photo avec elle. On a fait un bouchon sans précédent à Cannes. Puis, la fois où Chiara Mastroianni est venue vers moi et m’a demandé si elle pouvait me faire un cadeau. Je me voyais mal lui répondre non et elle m’a donné son assiette du festival. »
Malgré toute la réticence que peut vous inspirer cette attitude ou ce look, Esméralda, quelque part, mérite d’être défendue. Après tout, avouons qu’aujourd’hui chacun cherche à se démarquer, et les Femmes Panthères ont peut-être le mérite de le faire clairement. Toutes ces critiques, elle en a pleinement conscience et les évoque sans hésitation : « c’est sûr que si j’avais dit que je venais de Los Angeles, mon look aurait été plus accepté, parce que là-bas les gens sont censés être tellement plus cool. Alors que deux femmes qui s’habillent en panthères à Armentières, c’est le scandale. Il faut dire que dans les plus grandes villes, les gens sont assez anonymes. Ça ne veut pas dire qu’ils ne regardent pas, mais la mode se crée là-bas donc…. Après, je suis convaincue qu’il y a des ouins-ouins aussi là-bas.» Ouin-Ouin ? Pour tous les gens du Nord ou pour tous les fans d’Antoine de Caunes, le terme est familier. Pour les autres, les doutes sont permis. Comprendre : personne légèrement arriérée. Et pour ceux qui ne saisiraient toujours pas, Esméralda persiste et signe : « c’est comme France 3.
Quand ils font un reportage dans le Nord, ils ne prennent pas les gens intelligents, ils choisissent les ouins-ouins du coin. A force, on nous considère comme tels. » Pour lutter contre ça, Esméralda a décidé de faire une série sur le Nord « Les Reporters de l’Extrême ».
Une fiction documentaire réalisée de manière décalée, comme ces fans de cyclisme qui viennent sur les routes du Paris-Roubaix 48 heures avant le passage des coureurs. Et comme si cela ne suffisait pas, elle me tend des flyers, des photos et m’incite constamment à me rendre sur son site pour en avoir un aperçu. Ça en est presque touchant de maladresse. C’est sans doute cette attitude qui démarque les Femmes Panthères de l’hypocrisie du milieu mondain qu’elles fréquentent. Même les stars en ont le souffle coupé.
Maxime Delcourt. http://www.brain-magazine.fr/article/reportages