Le singe comme figure du diable
Posté par othoharmonie le 16 mai 2015
De la chute de l’Empire romain à l’ère gothique, le monde médiéval est peuplé d’êtres qui oscillent entre animalité et humanité, et qui menacent, de la sorte, la frontière érigée entre les deux règnes. L’héritage antique pèse fortement. Un imaginaire païen se maintient, dans une paysannerie moyenâgeuse, qui continue à vénérer, malgré l’Église, les figures liées aux cultes de la nature et de la fertilité. Les spiritualités anciennes, et particulièrement la religion égyptienne, dont le panthéon est animé de dieux hybrides et de déités animales, sont considérées comme incompatibles avec la doctrine chrétienne. La divinité attribuée au babouin par les Égyptiens, peuple idolâtre, ne pouvait en effet manquer de susciter la désapprobation.
Des humains rétrogradés et sataniques
Rattaché aux anciennes croyances profanes, le simia offre une image vile et dépravée de l’être humain. Exhibant une hideur révélatrice de sa bestialité, il tente de singer l’Homme tout comme le diable essaie d’imiter Dieu. Ses proximités physiques et comportementales sont donc interprétées en sa défaveur : il devient le prototype de l’imposteur et du mystificateur.
Le singe se présente comme un humain rétrogradé par un acte divin, de même que l’Homme est un ange déchu. Il constitue un avertissement, rappelant le risque de la déchéance et de la régression vers l’animalité. Pendant tout le Moyen Âge, l’Église considère officiellement le singe comme une figure du diable.
Il semble que, malgré sa large diffusion, la doctrine du simien apparenté à Satan ait cependant eu peu d’effet sur les conceptions populaires à propos des primates, en raison, peut-être, de la rareté des figures du diable adoptant cette forme. Le Malin est incarné par d’autres animaux : chien, chat ou chèvre. Au tournant des XIe et XIIe siècles, des macaques de Barbarie sont montrés dans les foires et adoptés par les plus riches. Devenus plus familiers depuis les croisades, ils suscitent beaucoup d’intérêt. Vers le XIIIe siècle, les singes abandonnent les oripeaux du diable et symbolisent le péché, constituant à nouveau une mise en garde contre la chute de l’Homme par la répudiation de sa dimension spirituelle.
Les auteurs des bestiaires chrétiens défendent un projet encyclopédique, au sens où ils veulent rendre compte de la totalité du savoir et de l’être, dans différents champs, des sciences à l’art, des allégories morales aux adages de la tradition. Supports de démonstration magistrale, les animaux constituent des exemples sur lesquels les auteurs plaquent des préceptes moraux. Plusieurs encyclopédistes, parmi lesquels Isidore de Séville, affirment eux aussi la parenté du singe avec le diable.
Lors du changement de paradigme qui émerge vers le XIIe siècle, les érudits opèrent un retour aux sources antiques et redécouvrent les auteurs grecs et latins. Les êtres hybrides, faunes, singes et autres créatures mythologiques, refont surface. Les ressemblances physiques entre humains et simiens sont reconnues, mais le critère de rationalité prévaut pour les distinguer. Une des nouveautés apportées par les encyclopédistes consiste à spéculer sur la mentalité, voire la psychologie des primates ; toutes les connaissances liées à leur biologie, ou à leur anatomie, étant recensées à partir des travaux des savants grecs, romains, arabes ou germaniques, parmi lesquels Aristote, Pline, Avicenne ou Hildegarde de Bingen.
Albert le Grand élabore son histoire naturelle comme une branche de la théologie, de même que les autres encyclopédistes. Son oeuvre se démarque néanmoins de leurs travaux. Ses descriptions se fondent en effet, souvent, sur des observations directes. Il répertorie toutes les similitudes entre l’être humain et les singes, y compris du point de vue mental (mémoire, jugement et imagination), mais maintient l’épreuve de la ratio. Seul l’Homme se prescrit des lois, différencie le bien du mal, vit dans des sociétés civilisées. Le théologien dominicain Thomas de Cantimpré juge les ressemblances corporelles trompeuses et considère les imitations simiesques comme de piètres copies des comportements humains. Il ajoute que les singes se déplacent à quatre pattes. Leur nature les oblige donc à tourner leur regard vers le sol, alors que l’Homme contemple le ciel, lieu de son salut.
SOURCE : Petite Histoire des Grands Singes
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