On distingue deux types de sanctuaires accueillant des grands singes. D’une part les sanctuaires ex situ, c’est-à-dire dans des pays où l’on ne trouve pas de populations naturelles de grands singes. Ils accueillent en général les rescapés des cirques, des médias et des laboratoires, ainsi que ceux qui ont été abandonnés par leurs propriétaires, en particulier aux États-Unis, où leur détention par des particuliers est encore légale dans certains États. Ils permettent également d’accueillir certains individus sauvés des zoos. D’autre part, on distingue les sanctuaires in situ, dans les pays où les grands singes sont présents à l’état sauvage. Ils accueillent principalement des orphelins sauvés du trafic d’animaux de compagnie et de viande de brousse.
Des structures coûteuses Dans les deux cas, il s’agit d’offrir aux grands singes des conditions de vie les meilleures possibles en captivité. Leur espérance de vie étant de l’ordre d’une cinquantaine d’années, ces structures coûtent extrêmement cher à entretenir, et arrivent rapidement à saturation en terme d’effectif. Cela s’explique par le fait que les entrées sont nombreuses, par saisies, abandons, ou arrêt d’activité, tandis que le nombre de sorties est largement inférieur, les seules possibles ex situ étant par décès des animaux. De plus, bien que les sanctuaires soient indispensables à l’application des lois, les gouvernements ne s’y impliquent généralement pas. En Europe, par exemple, il est extrêmement difficile de procéder à une saisie de grands singes, car il n’y a pour eux que peu de lieux d’accueil. Il n’en existe aucun en France… La réhabilitation
Dans le cas des sanctuaires ex situ, il n’y a pas d’autre avenir pour les animaux. Jusqu’à leur mort, ils ne connaîtront que la captivité, sous couvert de semi-liberté. Mais dans le cas des sanctuaires in situ, certains individus pourront espérer être réintroduits et donc retrouver la liberté. Pour cela, plusieurs conditions doivent être réunies. On considère en général qu’il faut qu’ils n’aient pas été capturés trop jeunes, pour que leur mère leur ait déjà enseigné quelques grands principes de survie. Il faut également qu’ils n’aient pas été captifs trop longtemps, pour qu’ils ne soient pas devenus trop dépendants de l’homme. Et bien sûr, il faut réussir à leur apprendre à survivre seuls dans la nature. Apprendre à vivre seul Le processus de réhabilitation est défini par l’UICN/SSC1 comme l’ « entraînement et la formation d’individus inadaptés sur le plan comportemental à l’acquisition de compétences leur permettant de survivre en toute indépendance dans un milieu sauvage ». Avant de pouvoir relâcher un individu, il faudra en effet au préalable lui apprendre à vivre seul, sans humain, et notamment (Grundmann, 2004) :
- à se nourrir seul, c’est-à-dire : savoir localiser les ressources de nourriture, reconnaître les aliments comestibles, non comestibles et toxiques, connaître les techniques de capture, de traitement et de transformation de certains aliments (utilisation d’outils, épluchage, techniques de chasse…) ; à se mouvoir en terrain complexe (locomotion arboricole en particulier) ;
- les comportements sociaux de son espèce ;
- à déterminer quel comportement adopter devant les différentes espèces sympatriques et notamment les comportements de peur/fuite face aux prédateurs ;
- à construire des nids. C’est à la seule condition qu’il maîtrise tous ces comportements, que l’on pourra envisager de réintroduire un individu. Un apprentissage de longue durée
Une des particularités des grands singes est que, comme les humains, ils restent longtemps auprès de leur mère – une dizaine d’années (plus ou moins selon l’espèce) – avant d’être autonomes.
Cela est étroitement lié à leurs capacités cognitives. Comme nous humains, ils ont beaucoup à apprendre de leurs aînés, et notamment des comportements sociaux parfois très complexes. Pour cette raison, tous les individus ne peuvent être candidats à un relâcher, car tous ne sont pas capables d’un tel apprentissage.
Chez certains, le traumatisme de la capture est trop grand pour être surmonté. Quant à ceux qui sont relâchés, on estime, dans le cas des orangs-outans, qu’ils ne seraient que 50 % à survivre, mais les données sont insuffisantes pour une estimation plus précise (Grundmann, 2004).
Seuls les bonobos n’ont, pour l’instant, pas été l’objet de programmes de réintroduction. Réhabiliter oui, mais où ? Hormis cet apprentissage complexe que doivent faire les individus et dont dépend leur survie, il faut également, pour qu’une réhabilitation soit possible, qu’un site approprié soit disponible, c’est-à-dire un site relativement préservé de toute activité humaine, où les ressources, en terme d’espace et de nourriture, sont suffisantes. Il faut aussi prendre en compte :
- l’écologie et le comportement des individus sauvages éventuellement déjà présents. Si d’autres individus sont déjà présents, ils ne doivent pas être trop nombreux, car un site n’a qu’une capacité d’accueil limitée en terme de ressources. D’autre part, dans le cas d’une espèce grégaire et territoriale telle que le chimpanzé, une réintroduction proche d’une communauté sauvage est particulièrement risquée. Si les femelles ont une chance de l’intégrer, les mâles vont probablement être tués. Toutefois, s’il parvient à intégrer une communauté sauvage, la probabilité de survie d’un individu va augmenter car il va pouvoir profiter de leurs connaissances.
- le contexte social, économique et politique du site. L’accord et la compréhension des populations locales vis-à-vis de ce type de programme sont un élément crucial pour sa réussite. Il n’est pas possible de relâcher un animal sur un site où la chasse ou la déforestation est importante. Dans la mesure où la forêt est souvent leur moyen de subsistance principal, il faut que le programme bénéficie également aux populations, et leur proposer des alternatives en matière de ressources et de méthodes de chasse (la chasse aux collets nuit beaucoup aux chimpanzés bien qu’ils ne leur soient pas destinés). En outre, le contexte politique est également important, dans la mesure où, en cas de guerre, les forêts deviennent rapidement des zones de non-droit, comme on a pu le voir au Rwanda ou en RDC.
- l’état sanitaire et génétique des candidats au relâcher. Il n’est en effet pas possible d’envisager un relâcher d’individus qui seraient potentiellement dangereux pour ceux déjà présents, parce qu’ils sont malades, par exemple, ou porteurs d’une tare génétique.
Ayant été en contact avec les humains, ils sont susceptibles d’être porteurs de maladies et pourraient donc causer une épidémie aux conséquences dramatiques pour une espèce déjà en danger. Une solution à court terme La création de sanctuaires in situ et ex situ permet l’accueil des grands singes rescapés du trafic ou de la captivité. Tant que rien ne sera fait pour que leurs existences et leur liberté soient respectées, ils seront malheureusement indispensables.
Une implication gouvernementale dans leur développement démontrerait une réelle volonté de faire appliquer et évoluer les lois. Néanmoins, ils ne constituent qu’une solution à court terme au problème. Qu’ils finissent leur existence en semi-liberté ou que quelques-uns survivent à une réintroduction dansleur milieu naturel ne permet que de résoudre les conséquences immédiates de l’exploitation des grands singes.
C’est à la racine du problème qu’il faut aussi s’attaquer, et pour cela, une prise de conscience collective est nécessaire, les mentalités doivent évoluer. Le combat à mener pour nos cousins est d’autant plus complexe qu’il faut être présents sur deux fronts : d’une part sur celui de la captivité intolérable dont ils font l’objet. Aucun laboratoire, aucun cirque, aucun dresseur, aucun zoo ne devrait aujourd’hui continuer à les exploiter. Et bien sûr, aux États-Unis, plus aucun particulier ne devrait s’en servir comme animal de compagnie ou substitut d’enfant. Le deuxième front est encore plus vaste. Pour que les grands singes aient un avenir, il faut que leur forêt en est un.
Il faut que les populations locales soient impliquées dans la conservation de la biodiversité si riche de leurs pays, et que nous, Occidentaux, leur offrions notre aide pour trouver des solutions leur permettant de vivre en harmonie avec la nature. Ce que nous n’avons pas su faire chez nous. Il ne s’agit donc pas d’entreprendre une répression du braconnage de viande de brousse ou de la déforestation, mais de mettre en place, ensemble, une politique de développement durable, profitable à tous.
Extrait du magazine http://www.one-voice.fr/