En présence des Macaques de Barbarie
Posté par othoharmonie le 23 avril 2015
À l’état sauvage, les groupes comportent de 12 à 59 individus avec une valeur médiane de 24. Chaque membre du groupe tient une position hiérarchique particulière dans l’échelle de dominance sociale du groupe. Bien que les femelles magots étudiées en semi-liberté soient capables de dominer les femelles plus âgées de lignées maternelles de rang moins élevé (système matrilinéaire classique d’acquisition du rang de dominance), elles ne le font pas systématiquement, voire rarement, par rapport à leurs propres sœurs plus âgées comme c’est la cas chez les femelles macaque rhésus Macaca mulatta ou macaque japonais Macaca fuscata élevées dans des conditions similaires. Ceci est dû à une différence de soutien reçu lors des conflits pouvant opposer les jeunes sœurs à leurs aînées. En effets, les jeunes femelles macaques berbères, si elles reçoivent autant de soutien de la part des individus apparentés, en reçoivent beaucoup moins de la part des membres non apparentés dans de tels conflits que chez les macaques rhésus ou japonais. Il en résulte que chez le macaque berbère au sein d’une lignée maternelle, les femelles le plus âgées sont les plus dominantes alors que c’est le contraire chez les deux autres espèces de macaque mentionnées.
La migration des mâles a été bien documentée pour cette espèce. La plupart des migrations depuis le groupe natal vers un autre groupe ont lieu entre 5 et 8 ans, autour du moment de la puberté, mais, dans les groupes étudiés, seulement un tiers de l’ensemble des mâles effectuent cette migration. Le transfert a lieu principalement lors de la saison de reproduction d’octobre à décembre où ils cherchent d’emblée à interagir avec des femelles en œstrus. Une seconde migration dans la vie d’un individu est possible mais rare. Tous les mâles migrants rejoignent un autre groupe social et ne transitent pas par un groupe de mâles ni ne demeurent solitaires comme c’est parfois le cas chez d’autres macaques. Les taux de migration sont plus hauts lorsque le ratio des individus adultes par rapport à l’ensemble du groupe est élevé.
Les migrants ont une forte préférence pour les groupes sociaux où le nombre de mâles de leur âge est moins élevé que dans leur groupe natal, voire nul. Les études montrent que c’est plus l’évitement de la consanguinité que la compétition entre mâles qui est le moteur de ces migrations, car ce ne sont généralement pas des mâles dominés qui migrent ; par contre, les migrants ont souvent beaucoup de sœurs ou de femelles apparentées dans le groupe d’origine. Les mâles sans femelles apparentées n’émigrent quasiment jamais, et aucun indice ne prouve que les mâles migrants soient écartés du groupe par les autres membres. Le taux de mortalité n’est pas plus important parmi les migrants que chez les autres mâles. Le succès reproductif des migrants est similaire à celui des mâles natifs. La scission du groupe est une autre solution pour éviter la consanguinité, les mâles choisissant plus volontiers le sous-groupe comportant le moins de femelles apparentées.
Entre mâles, les pics de comportements agressifs (on dit aussi agonistiques) surviennent le plus souvent au moment du rut (période de fécondation des femelles en novembre). L’espèce se caractérise par un comportement social très particulier (inhabituel dans la majorité des autres espèces de singes de l’ancien monde) impliquant deux mâles adultes et un juvénile. Ces interactions sont initiées par un mâle adulte qui prend sur son dos ou sur ses épaules un petit et va à la rencontre d’un autre mâle adulte. Les deux mâles adultes adoptent alors un comportement pacifique et l’excitation suscitée par la proximité entre ces gros mâles reste focalisée sur le petit.
De nombreuses études ont été entreprises pour expliquer ces particularismes propres aux mâles macaques berbères. D’une part, il a été montré que tous les mâles adultes et presque tous les pré-adultes établissent des relations privilégiées fortes avec au moins un petit, sans manifestation de préférence pour les petits apparentés (même lignage maternel) ou ceux des femelles avec lesquelles ils se sont accouplés. Le critère de choix semble plutôt résider dans la naissance précoce du bébé au cours de la saison de reproduction, le rang hiérarchique élevé de la mère et le fait qu’il s’agisse d’un petit mâle (les associations avec les bébés femelles sont plus rares et ont principalement cours s’il s’agit du bébé d’une femelle très dominante).
Certaines mères restreignent l’accès à leur petit vis-à-vis de certains mâles ce qui indique que l’association entre un mâle et un petit donné résulte aussi de la facilité d’interaction précoce. D’autre part, presque deux tiers des tout jeunes petits (avant douze semaines de vie) ont des contacts fréquents avec un ou plusieurs mâles. L’association d’un petit avec un mâle adulte ne semble pas nécessaire à la survie du petit et même, au contraire, un « charriage » excessif d’un très jeune bébé peut être une cause de jeûne et conduire à une mortalité néonatale. Ceci montre que les mâles adultes interagissent avec des bébés tout d’abord dans leur propre intérêt et non celui du bébé. Ce n’est que plus tard que le jeune pourra tirer un bénéfice de cette relation privilégiée.
Les mâles adultes utilisent le bébé comme moyen de médiation avec un autre mâle adulte, l’immunité dont jouissent les nouveau-nés au sein du groupe abaissant le risque d’agression entre les deux adultes. Des mâles ont même été décrits interagissant avec des bébés déjà morts avant leur prise de contact et même des souches calcinées imitant grossièrement le gabarit d’un petit. La fonction d’inhibition ou de modification de l’agression a été démontrée car le mâle à l’initiative de l’interaction est le plus souvent de position hiérarchique inférieure, qu’il choisit plus spécifiquement le petit privilégié du mâle avec lequel il va interagir et que ces comportements triadiques sont plus fréquents en période d’accouplement, là où les tensions entre mâles sont maximales. En grandissant, les liens tissés entre le mâle adulte et le jeune peuvent bénéficier à ce dernier en tant que partenaire privilégié lors des coalitions. Cependant, la fonction de ces relations triadiques ne se limite pas à la seule atténuation du risque d’agression mais couvre aussi une grande variabilité de contextes dans leur expression.
Les relations entre groupes sociaux ont montré que deux troupes se trouvaient à une distance inférieure à 150 m environ une fois toutes les 50 heures d’observation. De telles rencontres inter-groupes se soldaient la moitié du temps par le déplacement d’un des groupes par l’autre ou par un conflit, ce qui prouve qu’il existe une réelle compétition pour les ressources entre les différents groupes. Cependant, dans la moitié des rencontres, les membres des différents groupes n’interagissaient pas du tout entre eux et seuls les mâles influents de chaque groupe exerçaient une surveillance plus poussée qu’en temps normal. Il n’a pas clairement été montré une quelconque forme d’unification ou de coordination des membres d’un groupe à l’encontre de l’autre groupe.
La scission d’un groupe social en plusieurs groupes fils a été documentée à la fois en milieu naturel et en semi-liberté. En milieu naturel, le processus de scission s’est étalé sur plusieurs mois après que le groupe eut atteint une taille de 76 animaux. Des séparations temporaires avaient eu lieu à 11 reprises lors des deux saisons de rut précédant la séparation définitive en trois sous-groupes de tailles inégales (respectivement de 50, 24 et 13 individus). À l’inverse, la saison des naissances a tendance à ressouder les liens sociaux dégradés pendant la période des accouplements, retardant d’autant la scission définitive. Les femelles adultes ont joué un rôle important dans la scission en initiant rapidement la formation de deux, puis de trois noyaux cohérents de femelles auxquelles se sont rapportés ensuite les autres individus pour constituer des sous-groupes multimâles-multifemelles. Les mâles adultes résidents ont émigré dans une proportion de 35 % dans les groupes avoisinants pendant les mois qu’a duré la scission, la majorité des autres demeurant dans le plus gros des sous-groupes. Un fort contingent de mâles étrangers a, quant à lui, intégré les différents sous-groupes pendant la période.
Après la scission, les individus issus de la même lignée maternelle sont restés ensemble dans les différents sous-groupes. Les données recueillies sur de nombreuses scissions en semi-liberté vont dans le même sens et apportent quelques précisions. Les processus de scission peuvent durer de quelques mois à presque deux ans pour aboutir, le plus souvent à deux sous-groupes. Les scissions sont précédées par des phases de création de sous-groupes périphériques de jeunes mâles adultes (âgés de 8 à 10 ans). Ainsi, la compétition entre mâles peut aussi agir comme une force génératrice de scissions, lorsqu’ils sont rejoints par des femelles. Les femelles qui se séparent du noyau principal sont le plus souvent de rang hiérarchique moyen à faible, mais pas les plus faibles. Le sex-ratio des adultes est généralement très comparable dans les différentes sous-unités créées.
En raison des contraintes imposées par le climat, et donc par la disponibilité alimentaire, la reproduction est fortement saisonnière chez cette espèce. La saison des accouplements ou rut a lieu principalement en novembre (avec un léger débord sur octobre et décembre) ce qui induit, après 5 mois et demi de gestation, une saison des naissances centrée sur mai (d’avril à mi-juillet). Cette forte saisonnalité des périodes d’accouplement est rare chez les macaques bien qu’il y ait pratiquement toujours des périodes où plus de femelles sont en œstrus au cours de l’année. Ceci n’est pas sans conséquence car quand les périodes de reproduction sont espacées sur toute l’année, un seul mâle peut quasiment monopoliser toutes les femelles à fertiliser tandis que, comme c’est le cas pour le macaque berbère, quand toutes les femelles sont fertiles en même temps de nombreux mâles peuvent prétendre à l’accouplement.
La relation entre le succès reproductif et le rang social a été bien étudiée chez le magot de Gibraltar. Les résultats montrent que les nombres de paternités et de maternités étaient équitablement répartis parmi tous les individus reproducteurs indépendamment du rang de dominance. De plus, les mâles sub-adultes se reproduisaient aussi souvent que les mâles adultes pleinement établis, ce qui en fait une particularité du macaque berbère parmi les macaques.
Les traits d’histoire de vie, notamment reproductive, des femelles macaques berbères ont été étudiés principalement en semi-liberté sur des périodes assez longues. Les résultats montrent une relation forte entre la fécondité et l’âge des femelles. La fertilité la plus élevée se rencontre chez les jeunes femelles (7 à 12 ans), puis chez celles d’âge moyen (13 à 19 ans) et enfin elle est la plus basse chez les femelles les plus âgées (20 à 25 ans). Ceci est surtout dû à un intervalle plus long entre les naissances à mesure que les femelles vieillissent. En revanche, les petits des femelles âgées ont le meilleur taux de survie. Les observations comportementales révèlent que les femelles âgées sèvrent leur petit plus tard que les jeunes mères ce qui peut aussi expliquer l’intervalle plus long entre les naissances tout autant que la détérioration de l’état physique des mères avec le temps. La reproduction cesse au milieu de la troisième décennie et le cycle œstrien continue d’avoir lieu de 3 à 4 ans après la naissance du dernier petit. Ces études en captivité permettent de montrer que la sénescence reproductive et la ménopause sont plus fréquentes chez les primates qu’il n’a longtemps été suggéré.
En milieu naturel, le sex ratio adulte atteint 0,725 et les individus immatures représentent 46,9 % de la population. Le taux de natalité des femelles adultes est de 0,58 petit par an. Le taux de mortalité apparaît relativement faible pour toutes les classes d’âge jusqu’à la vieillesse et ce même en habitat isolé et dégradé.
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