La colère du rhinocéros
Posté par othoharmonie le 21 décembre 2014
Christophe Ghislain, Belfond, 2010.
La colère du rhinocéros est une sorte de phénomène : paru il y a deux ans et demi chez Belfond, ce premier roman du Liégeois Christophe Ghislain a récolté 6 prix littéraires, dont le Prix de la première œuvre de la Fédération Wallonie-Bruxelles 2011 et l’important Prix Jean Muno 2012 décerné tous les deux ans par le Centre culturel du Brabant wallon. C’est dire si le roman a détonné, surpris, emballé. Moi-même, après avoir mis un certain temps à adhérer au récit, je me suis fait littéralement scotcher à ce climat si spécial – et pour mon plus grand plaisir.
Un roman comme un western décalé dans une improbable Belgique, sorte de surréaliste Far-West. Un roman à trois narrateurs, aux chapitres nerveux, au style très visuel pas si éloigné du road-movie. Et tous les topiques du western s’y trouvent : les plaines brûlées, la maison close, le shérif pas net et lâche, l’Indien sauvage et solitaire, la jeune fille au passé tragique, le gang de malfrats, le héros face à l’hostilité ambiante. Et puis tous ces sentiments rentrés de colère et de règlements de comptes qu’exprime bien cet étrange rhinocéros dont, en réalité, on ne fait qu’apercevoir l’ombre violente. Car il y a une vieille histoire là-derrière.
Le héros principal est Gibraltar ; en crise de couple et même existentielle, quittant sa vie au volant d’un corbillard en pleine canicule, il percute cet improbable rhinocéros – peut-être simplement échappé d’un ancien cirque où on le faisait voler en deltaplane: le voilà de retour chez lui à Trois-Plaines (Belgique) après 17 ans d’absence. Or Gibraltar n’est pas le bienvenu au village : trop de choses soulevées. C’est qu’il cherche à revoir son père – Arthur Mac Adam –, ce vieux cinglé, ce Don Quichotte qui avait eu le rêve insensé de faire venir la mer jusque-là, jusqu’au milieu des terres, faire de ce patelin perdu une sorte de station balnéaire, en faisant creuser la fosse à coup de vieilles mines. Et Gibraltar de reprendre ce rêve déglingué : il reconstruit pierre par pierre le phare qui aurait indiqué aux humains un ailleurs possible, une manière de quitter le sol, ne plus avoir peur. Mais la peur n’est pas ce qui touche Gibraltar, il veut seulement comprendre son histoire. Par exemple comment, quand les rêves sont brisés, il n’y a plus qu’à boire jusqu’à l’absurde; ou comment il y a toutes ces amours ratées, ces vies brisées, et l’incendie, et les désastres, et la violence des hommes dans les maïs du diable.
Difficile de passer à côté de ce roman atypique qui gagne puissance à mesure qu’il progresse, et nous prend à la gorge – une sorte de charge de rhinocéros peut-être. Le rapport à la Belgique ? Rien évidemment, sinon cet air de surréalisme amusé et poétique qui permet d’échapper au désespoir.
Dans le cadre des Nuits d’encre, le festival littéraire qui a lieu tout le mois de mars un peu partout en Brabant wallon, et surtout cette deuxième quinzaine, Christophe Ghislain est l’invité de deux soirées : mercredi 27 mars 20h à la librairie Calligrammes à Wavre, et le lendemain 28 mars, 20h aussi, à la bibliothèque publique de Rixensart – l’accès est libre bien sûr.
RESUME / Pour chercher son père, qu’il a quitté dix-sept ans plus tôt et dont il n’a plus de nouvelles, Gibraltar revient à Trois-Plaines, son village natal. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n y est pas le bienvenu. Dans ce décor désertique et caniculaire, alors que Gibraltar reconstruit pierre par pierre un phare en ruines érigé par son père au milieu d’un pré, Emma, L’Esquimau et Gibraltar recollent tour à tour les morceaux de leur histoire dans un village où l’étrangeté est reine. Peu à peu, entre les femmes qui pêchent des poissons dans l’herbe des plaines, les cardiaques qu’on ranime à grands coups de sacs de frites surgelées et les rhinocéros qui volent en deltaplane, le passé refait surface. Et l’histoire familiale de Gibraltar prend forme autour de l’absence d’un père un peu fou et des ravages qu’il a commis sur le village. Mais les plus fous ne sont pas toujours ceux qu’on croit…
L’auteur : Christophe Ghislain est né le 22 juin 1978 en Belgique.
Biographie : Après des études de lettres et de philosophie et une formation de réalisateur, il a obtenu en 2005 pour Lost in La Hesbaye le prix du meilleur premier film au Festival international du film indépendant de Bruxelles.
La Colère du rhinocéros est son premier roman, et l’on y reconnaît ses talents pour le cinéma.
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