CONFUSION ENTRE RHINOCEROS ET LICORNE
Posté par othoharmonie le 13 décembre 2014
Parmi les variantes orientales de la confusion entre rhinocéros et licorne, on peut signaler le bulan, chez les peuples altaïques.
Selon les Etymologiae d’Isidore de Séville (environ 560-636), un traité médiéval à son tour repris par de nombreux autres auteurs, le » rhinocéros est le nom donné à l’animal par les Grecs, sa traduction latine est corne sur le nez… Il est si fort qu’il est impossible pour les chasseurs de le capturer ; mais, comme l’affirment ceux qui ont écrit sur la nature des animaux, on lui met devant une jeune fille vierge qui lui offre le sein ; et lui, abandonnant toute férocité, il s’endort dans son sein et il est capturé comme s’il était sans défense « . Le rapport entre vierge et licorne remonte au Mahabarata, grand récit de Bharata, poème épique de l’Inde ancienne entre le
IVe siècle av. J.-C. et le IVe siècle apr. J.-C. Cette technique de chasse insolite est confirmée au fil des siècles par d’innombrables textes et représentations, avec la seule variante du sein dénudé ou couvert, mais le fait indiscutable qu’aucune licorne n’a jamais été capturée fait douter, plus que de la méthode, de l’existence même des licornes, ou de la pénurie de vierges. Isidore de Séville est aussi le premier à narrer dans le même texte la capture de la licorne avec une vierge et le combat entre un rhinocéros et un éléphant tiré de Pline. Et dans l’Isidorus versificatus du XIIe siècle, on lit que » le rhinocéros, cet animal qui n’a qu’une corne au milieu du front et que nul ne peut vaincre est vaincu par une vierge nue « . Cette version est reprise aussi dans les Carmina burana, un recueil de deux cent cinquante documents poétiques et musicaux du XIIe- XIIIe siècle, contenus dans le Codex Latinus Monacensis. Le titre de Carmina burana a été introduit par le spécialiste Johannes Andreas Schmeller en 1847 pour la première publication du manuscrit, provenant de Seckau, mais retrouvé en 1803 dans l’abbaye de Benediktbeuern, l’ancienne Bura Sancti Benedicti fondée vers 740 par saint Boniface à Bad Tölz en Bavière. Le chant 93 récite :
Rhinoceros virginibus se solet exhibere
sed cujus est virginitas intemerata vere
suo potest gremio hunc sola retinere.
Igiturque juveni virgo sociatur,
et me senem spreverit jure defraudatur,
ut ab hac rhinoceros se capi patiatur.
Dans le Deuxième voyage de Sindbad, un cycle indépendant d’histoires de la période Abbasside inséré dans Les Mille et Une Nuits, à leur tour une série de contes tirés des histoires persanes Hazar Afsanah (Mille légendes), traduits en arabe vers 850, la marin rencontre le rhinocéros sur une île » plus petit qu’un éléphant, mais plus grand qu’un buffle, avec une seule corne d’environ une coudée « .
Nicolò De Conti (1395-1469), marin, voyageur et commerçant de Chioggia, en 1444 décrit le rhinocéros comme » un animal à la tête de porc, une queue de boeuf et une corne sur le front, comme celle de la licorne, mais plus courte d’une coudée « . Pour découvrir les lieux mystérieux d’origine des épices, il voyage de Samarkand à l’Inde, du Catai à Bornéo, de Java aux Moluques, observant la flore, la faune, les coutumes, et apprenant les langues, les habitudes, les comportements et les religions, allant même jusqu’à devenir musulman pour éviter le supplice du pal.
S’étant adressé au pape vénitien Eugène IV Condulmer pour se reconvertir à la religion chrétienne, il est chargé par le Souverain Pontife de raconter ses voyages à son secrétaire, l’homme de lettres Poggio Bracciolini (1380-1459) qui les reprend pour ses exigences philosophiques dans le IVème livre du De varietate fortunae (1431-1448). Les Hieroglyphica, sive de Sacris Ægyptiorum Aliarumque Gentium Litteris Commentariorum de Gianpietro Valeriano, dit Pierius (1477-1558), sont une oeuvre de succès qui décrit amplement le » rhinocerote « , tandis que selon Jean Fonteneau, dit Alfonse de Saintonge, dans La Cosmographie avec l’espère et régime du soleil et du Nord, de 1545, » Dans cette terre d’Éthiopie il y a des éléphants et des » robincéros » qui sont un type de licornes, presque formés comme des mulets « . D’autres auteurs nient l’existence de la licorne comme le médecin Andrea Martini qui, en 1556, publie Contre la fausse opinion de la licorne et Ambroise Paré1 (1510-1590) dans le Discours de la licorne de 1582.
En 1585 le frère augustin Juan Augustin Gonzalez de Mendoza visite les franciscains missionnaires au Cambodge où il voit des éléphants et des rhinocéros en vrai et à son retour en Espagne dans la Historia de las cosas mas notables, ritos y costumbres del gran Reyno de la China est en mesure de démentir qu’il s’agit de la licorne. Jan-Huygen van Linschoten (1563-1611) dans l’Histoire de la navigation de Jean-Hugues de Linscot et de son voyage aux Indes orientales de 1610, affirme qu’il existe seulement le rhinocéros. Ulisse Aldovrandi dans son De quadrupedibus solipedibus publié en 1616, mais remontant à la fin du siècle précédent, consacre un chapitre au rhinocéros, qui se différencie d’animaux incertains comme la licorne, le monoceros de Pline, l’oryx d’Aristote, l’onagre ou l’âne des Indes avec lesquels les anciens confondaient souvent le périssodactyle et confirme que Marco Polo s’est trompé. En effet, en 1295, le voyageur vénitien Marco Polo1 (1254-1324) fut fait prisonnier par les Génois dans une bataille navale et, entre 1298 et 1299, il dicta dans les prisons de Gênes à son compagnon de captivité Rustichello da Pisa son récit de voyage Le Divisament dou monde. Écrit en franco-italien, le livre est connu sous le titre de Il Milione du nom Emilione d’un ancêtre de la famille Polo.
Il raconte que, de passage sur l’île de Sumatra, faisant partie de la suite de la princesse Cocacin, nièce du Grand Khan Kublai (1214-1294, descendant de Gengis Khan), il entend parler de la présence d’une licorne qu’il pense capturer pour l’apporter à Venise, mais il voit seulement un rhinocéros » Egli hanno leonfanti assai selvatici, e unicorni che non sono guari minori che leonfanti. E sono di pelo di bufali, e piedi come leonfanti. Nel mezzo della fronte hanno un corno nero e grosso: e dicovi che non fanno male con quel corno, ma co’ la lingua, chè l’hanno ispinosa tutta quanta di spine molte grandi. Lo capo hanno come di cinghiaro, la testa porta tuttavia inchinata verso terra; ed istà molto volentieri nel fango; ella è molto laida bestia a vedere. Non è, come si dice di qua, ch’ella si lasci prendere alla pulcella, ma è il contrario « .
Le mythe de la licorne est détruit aussi par le jésuite Claude Dumolinet (1620-1687) qui dans son catalogue du cabinet de curiosités de la bibliothèque de Sainte-Geneviève affirme qu’il » n’est plus permis de nier qu’il s’agit de la corne d’un poisson » précisément de narval2, depuis toujours faite passer pour celle de la licorne, et le huguenot controversé François Leguat (1634-1735) dans les Voyages et aventures de F. Leguat et de ses compagnons en deux îles désertes des Indes orientales de 1708 écrit que » Pour la licorne, c’est une chimère…
Le rhinocéros est la vraie licorne quadrupède « . La légende de la licorne s’écroule en 1827, quand le baron Georges Léopole Chrétien Frédéric Dagobert Cuvier (1769-1832) déclare qu’il ne peut exister un animal doté d’une seule corne et d’un ongle fendu, car l’os frontal aurait dû aussi être fendu et il est impossible qu’une corne pousse sur la fente. En effet, celle du rhinocéros n’est pas composée d’une gaine cornée qui revêt un os relié au crâne, mais il s’agit d’un ensemble de soies très dures indépendantes du crâne.
Le dilemme de la licorne pourrait s’expliquer banalement par des récits imprécis ou exagérés du rhinocéros indien à une corne, ou par la difficulté d’examiner l’animal sauvage dans son milieu, ou aussi par la présence fréquente d’antilopes avec une seule corne pour des causes génétiques, comme, par exemple, les coudous (Tragelaphus strepsiceros ou Grand koudou) qui vivent dans la zone de Tsipishe en Afrique du Sud, ou parce qu’elle s’est cassée.
Le mythe trouve une conclusion plausible en 1930 avec le livre d’Odell Shepard The Lore of the Unicorn « Il semble probable que l’idée de la licorne est née de l’usage d’unir les cornes de divers animaux domestiques par un procédé encore utilisé aujourd’hui. On peut trouver ici l’explication des vaches et des taureaux avec une seule corne que, selon Claudius Elianus, on pouvait trouver en Éthiopie, et des troupeaux unicornes dont parle Pline qui vivaient en Mauritanie. Même les vaches avec une seule corne courbée vers l’arrière et longue un empan, vues à Zeila en Éthiopie par Lodovico de Varthema (écrivain et voyageur italien du XVIe siècle) étaient peut-être de ce type. La tête de bélier avec une seule corne envoyée à Périclès (495-429 av. J.-C.) par ses paysans, était peut-être celle du plus bel exemplaire parmi les troupeaux, symbole parfait de cette suprématie que, selon l’interprétation de Plutarque (biographe grec du Ier siècle apr. J.-C.) ils souhaitaient à leur seigneur. Enfin, le mystérieux boeuf unicorne, mentionné trois fois dans le Talmud, qu’Adam sacrifia à Yahvé, était peut-être le plus bel exemplaire de son troupeau de bêtes, la chose la plus précieuse que possédait Adam « . Et en mars 1933, le biologiste américain Franklin Dove effectue une simple opération sur un veau mâle d’un jour à peine, unissant les deux cornes sur la tête du veau.
Extrait de : Le Rhinocéros – Histoires fantastiques et légendes authentiques traduit en Français
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