POUR L’amour des manchots
Posté par othoharmonie le 29 octobre 2014
Chaque été, une grande colonie de manchots fait le trajet depuis les eaux chaudes du Brésil pour venir s’accoupler en Patagonie.
Avec ses milliers de cratères qui signalent la présence de nids, Punta Tombo [Argentine, Patagonie] donne l’impression d’un paysage lunaire. On y trouve en effet près d’un nid par mètre carré et des centaines de milliers de manchots. Chaque matin et chaque soir surgissent de ces terriers des légions de manchots de Magellan qui se dirigent vers la mer en procession ou en reviennent avec le produit de leur pêche pour nourrir leur progéniture. Puisqu’il leur faut parfois empiéter sur le territoire d’un autre pour atteindre la mer, les accrochages ne sont pas rares et s’accompagnent de violents échanges de coups de bec.
Au bout du cap, une saillie de pierre rougeâtre permet aux manchots de plonger dans la mer. Comme les dauphins, les manchots nagent en faisant des bonds hors de l’eau pour respirer. Ils y vont généralement en groupe pour pêcher. A la nage, ils peuvent atteindre une vitesse de 24 km/h et plonger jusqu’à 80 m de profondeur. Les manchots sont des oiseaux primitifs qui ont perdu la capacité de voler : leurs “ailes” servent en réalité de nageoires. Il est tout simplement fascinant d’observer ces oiseaux qui marchent en se dandinant, nagent comme des poissons et, malgré leurs ailes, sont incapables de voler.
Les plumes du manchot sont disposées les unes sur les autres comme des écailles et les pattes sont situées loin à l’arrière du corps pour faciliter la nage. Dans l’eau, la queue sert de gouvernail. A la base de celle-ci, une glande sécrète une huile que les manchots étalent sur leurs plumes pour se protéger des eaux froides du Sud. Bref, les manchots sont de véritables animaux marins : ils vivent dans l’eau et ne viennent sur la terre ferme que pour se reproduire.
A l’extérieur, ils sont extrêmement maladroits. Il est particulièrement difficile pour eux de s’extraire de l’eau. Ils s’approchent de la côte en nageant comme des canards puis, comme les surfeurs, ils utilisent les vagues pour atteindre la plage, où ils échouent sur le gravier et tentent de se relever le plus rapidement possible.
Dans la colonie, le bruit est assourdissant : les couples passent leur temps à crier pour ne pas se perdre lorsque l’un des deux – parfois le mâle, parfois la femelle – quitte le nid pour aller chercher de la nourriture. Les poussins contribuent au vacarme en réclamant à manger à grands cris. On les entend aussi “éternuer” pour expulser le sel accumulé par leur organisme grâce à des glandes situées au niveau de leur bec, qui leur permettent de boire de l’eau de mer.
Les manchots sont des êtres très confiants. On peut les approcher, lentement, à près d’un mètre. Ils avertissent ceux qui tentent de s’approcher davantage en bougeant la tête de bas en haut et de droite à gauche. Le mouvement permet au manchot d’observer l’intrus d’un œil puis de l’autre pendant qu’il se prépare à attaquer. Est-il nécessaire de préciser qu’il ne faut jamais tenter de les toucher ?
Des fossiles découverts dans la région permettent d’attester de la présence de manchots en Patagonie il y a 35 millions d’années. Antonio Pigafetta, l’un des membres de l’équipage de Magellan, les a décrits comme d’« étranges oies sauvages”. Les manchots ont par la suite été victimes des baleiniers, qui les chassaient pour extraire l’huile de leur graisse. A un moment, des navires anglais ont sacrifié quelque 1,3 million de manchots dans cet objectif… Si l’espèce semblait vouée à l’extinction, sa survie est désormais assurée grâce à la création de réserves protégées. Il n’existe aucun récit de voyage ou documentaire qui ne mentionne pas avec une certaine tendresse ces oiseaux pacifiques à la démarche chaplinesque qui se consacrent avec autant de zèle à l’élevage de leurs petits.
Contrairement à la majorité des êtres humains, ces Lilliputiens ont une vie de couple qu’on pourrait qualifier d’exemplaire et d’harmonieuse. Dans l’univers des manchots, la monogamie est la règle. On a même observé des couples qui totalisaient quinze ans de vie commune – l’équivalent de toute une vie. S’ils se séparent pour traverser l’océan jusqu’aux côtes brésiliennes, où ils passent l’hiver à batifoler dans l’eau, ils se retrouvent l’été suivant en Patagonie, à l’endroit même où ils ont creusé leur nid l’année précédente. Il existe cependant des exceptions à la règle : certains manchots rompent pendant un instant leur pacte d’amour éternel. S’il semble que les femelles se permettent plus souvent cet écart de conduite, elles finissent malgré tout par revenir au nid.
Répère
Le manchot et le pingouin ont une morphologie similaire, mais ils sont différents. Les pingouins vivent dans l’hémisphère Nord – et même jusqu’en Bretagne – et peuvent voler, contrairement aux manchots, qui vivent dans l’hémisphère austral. La confusion courante entre ces deux oiseaux vient du fait que les manchots sont désignés en anglais ou en espagnol par le même mot, penguin ou pingüino. Le mot manchot dans notre langue vient du latin mancus, qui signifie “estropié”, attribué par un ornithologue à cette espèce en raison des ailes atrophiées de l’animal.
De nos jours, les nappes de pétrole sont le pire ennemi des manchots. Cette année encore, 200 d’entre eux ont atteint la réserve couverts de pétrole. Au contact des hydrocarbures, les plumes perdent leur fonction de protection thermique et les manchots sont contraints de rester au chaud sur la plage, où ils meurent d’inanition.
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