Un manchot géant vivait près de l’équateur à l’Eocène
Posté par othoharmonie le 27 octobre 2014
La découverte avait de quoi surprendre : non seulement les manchots sont plutôt adaptés aux climats froids, mais en plus, leur taille tend à s’accroître à proximité du pôle sud. Le plus grand d’entre eux est le manchot empereur, popularisé par un fameux film français récent, et qui présente la particularité unique de pondre en plein hiver antarctique, ce qui oblige ses parents (le père en particulier) à jeûner des semaines durant.
Or, voici que deux espèces fossiles de manchots, l’un d’assez grande taille (Perudyptes devriesi) et l’autre encore plus grand que l’empereur (Icadyptes salasi) avec une hauteur d’1,5 m viennent d’être exhumés des dépôts de la fin de l’Eocène du Pérou, qui plus est une période au cours de laquelle le climat était particulièrement chaud et humide. Pour couper court aux assertions selon lesquelles le réchauffement climatique actuel ne serait pas préjudiciable aux manchots, empressons-nous de dire que les espèces actuelles ne sont que lointaines parentes de ces fossiles et sont adaptées aux climats ou aux courants froids : la plus septentrionale d’entre elles, le manchot des Galapagos, bénéficie de la présence d’un courant marin froid, le courant de Humboldt, qui lui assure les conditions écologiques nécessaires à sa survie, et refermons la parenthèse.
Donc, le mode de vie de ces manchots fossiles était sans doute relativement différent des actuels. Icadyptes, en particulier, se caractérisait par un bec d’une longueur étonnante, très éloigné de celui des espèces actuelles. Non pourvu d’un crochet à son extrémité, ce bec était peut-être (spéculation personnelle) utilisé pour embrocher les poissons dont il se nourrissait, à l’instar de l’anhinga (une sorte de cormoran avec un long cou de héron en « S » et un long bec pointu, dont il existe deux espèces actuelles). On a écrit que la grande taille de Icadyptesremettait en cause la loi selon laquelle la taille des animaux à sang chaud augmente à l’approche des pôles, comme un moyen de lutte contre le froid (la surface d’un individu, dont dépend la déperdition de chaleur, diminue en proportion de sa masse totale à mesure que la taille augmente). Mais outre que cette loi n’est pas une règle absolue en soi (bien que très souvent vérifiée, par exemple avec les ours, les loups, etc.), il faut remarquer qu’il n’est pas pertinent de l’appliquer à des organismes éloignés de plusieurs dizaines de millions d’années d’évolution que sont Icadyptes (le manchot géant fossile) et Aptenodytes (les manchots royal et empereur actuels).
Ces considérations mises à part, il faut rappeler que les manchots font partie des oiseaux les plus étonnants du monde. Outre son mode de reproduction unique, on oublie souvent qu’avec un poids atteignant 45 kg, le manchot empereur est l’un des plus gros oiseaux actuels -il est même le plus gros des carinates, les oiseaux qui le surpassent en taille, actuels (autruche, émeu) ou récemment exterminés par l’homme (moas zéo-zélandais, oiseaux-éléphants malgaches) font tous partie du groupe primitif des ratites. La technique de nage des manchots, qui consiste en un « vol » sub-aquatique, ne se retrouve que chez les tortues marines ainsi que certains poissons tels que l’opah (Lampris) et, dans une moindre mesure, chez les otaries (et les plésiosaures fossiles). Mais aussi, bien sûr, chez quelques autres oiseaux dont les pingouins, avec lesquels ils sont si souvent confondus, et qui ne leur sont pas apparentés. Il s’agit d’un de ces exemples étonnants de convergence évolutive, les pingouins, guillemots, macareux et mergules occupant l’hémisphère nord, tandis que la moitié australe du globe est occupée par les manchots. Les premiers, ou alques (alcidés), sont apparentés aux mouettes et goélands, tandis que les seconds (sphéniscidés) sont apparentés aux pétrels et albatros, qui, chose remarquable, sont, de leur côté, d’un aspect et d’un mode de vie tout à fait convergents avec ceux des goélands. Manchots, albatros et pétrels font partie du groupe des tubinares : un tube recouvre les narines du bec chez les pétrels, et des vestiges de ce tube sont visibles sur le bec du manchot nain (Eudyptula).
Il peut paraître extraordinaire que les manchots, qui ont renoncé depuis longtemps au vol, puissent être apparentés aux albatros, ces extraordinaires et majestueux voiliers, et pourtant… Le groupe des pétrels nous réserve encore une surprise : comme le font souvent remarquer les connaisseurs, les vrais pingouins sont capables d’utiliser leurs ailes à la fois pour voler et pour nager sous l’eau (excepté le grand pingouin, exterminé par l’homme au XIXème siècle, et qui était trop gros pour voler). Or, il existe une famille très méconnue de pétrels qui présente cette caractéristique : les pétrels-plongeurs (pélécanoïdidés). De petite taille comme les pingouins et guillemots, ils hantent l’hémisphère sud, dans lequel ils n’entrent pas en concurrence avec leur homologues, auxquels ils ressemblent en réalité bien plus que les manchots. Les pétrels-plongeurs maîtrisent même si bien l’alternance de vol aérien et de vol aquatique qu’il n’est pas rare, lors de leur vol au ras des flots battus par les tempêtes australes, de les voir traverser de part en part les hautes vagues sans dévier de leur trajectoire.
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