Deux cents spécialistes planchent sur une stratégie de lutte qui est triple : sociologique, méthodologique et scientifique.
C’est l’ennemi public Numéro 1. L’insaisissable moustique tigre (aedes albopictus), petit, mais puissant vecteur de maladies tropicales comme la dengue et le chikungunya, pique la recherche au vif. Au bout de trois ans d’études menées de la frontière italienne à la frontière espagnole, avec le Languedoc-Roussillon comme cœur de cible, Cécilia Claeys, sociologue rattachée à l’Université de Marseille, a livré mercrdi ses conclusions devant deux cents spécialistes.
Moustique de la mondialisation
Contrairement à ses cousins autochtones (aedes caspus, aedes detritus et cules pipiens), le tigre, toujours à l’œuvre en ce moment, pique tout le temps. Jour et nuit. À l’intérieur comme à l’extérieur. Sur une grande période. De mars à novembre.Certes, ce moustique de la mondialisation, apparu en 1999 dans un stock de pneus venu d’Asie, se déplace peu seul. Mais il est pot de colle.
« Anthropomorphe, il s’installe là où il a, à vie, gîte et couvert », précise Cécilia Claeys. S’il le faut, il suit son garde-manger en prenant avec lui train, bus, voiture. Et parcourt ainsi de grandes distances ! Cette constance dans cette cohabitation forcée est ressentie comme un harcèlement, « une nuisance insupportable ». D’autant que ses hôtes, peu exposés jusqu’alors, sont très sensibles à ses piqûres qui les marquent au fer rouge.
« Dans les Alpes-Maritimes, premier département que ce diptère a colonisé en 2010, confie Cécilia Claeys, le niveau de gêne déclaré est en baisse. Y a-t-il eu accoutumance ? Les campagnes de sensibilisation portent-elles leurs fruits ? » Ou les deux. Ce qui offre un espoir dans la lutte contre cet insecte. Même si d’autres freins se font jour.
Une espèce domestique jusque dans sa reproduction
« Le tigre est une espèce domestique jusque dans sa reproduction : il ne se reproduit que dans de l’eau propre. Pas dans les marais. Or, les gens l’associent aux autres espèces autochtones qui, elles, se reproduisent dans des eaux sales ou sauvages. Le tigre crée un blocage culturel. Les gens n’acceptent pas l’idée que ce moustique pullule dans leur jardin grâce à l’eau du robinet, potable, qui stagne dans une coupelle. Pour eux, c’est inacceptable. »
Le défi est aussi méthodologique et scientifique. « Le tigre est exclusivement urbain. Or, on ne peut pas arroser toute une ville de BTI (une bactérie qui vit naturellement dans les sols, NDLR), seul produit autorisé, très cher, très sélectif et qui ne marche pas sur les insectes adultes », précise Christophe Lagneau, directeur de recherche à l’Entente interdépartementale pour la démoustication (EID) Méditerranée.
Télédétection par satellite
« Nous partageons nos expériences pour un contrôle des nuisances mieux organisé et plus respectueux des milieux », explique Jean Alfonsi, chef du service démoustication de Corse-du- Sud, aux avant-postes de la lutte. Comme en Guyane. « Chez nous, note Albéric Benth, vice-président du conseil général de Guyane, on ne souffre pas de la nuisance mais du palu et de la dengue qui tuent des gens. Le programme Life + nous a permis d’établir un outil pédagogique. » En Martinique, le tigre a fait six morts entre juin et septembre.
D’où l’importance des avancées. L’EID a, par exemple, mis au point le prototype d’un quad libérant une quantité de BTI réglée sur la vitesse du véhicule et recherche des produits alternatifs, y compris pour limiter la capacité de résistance du tigre. Enfin, la télédétection par satellite permet de cartographier les lieux à risques et d’adapter le traitement. La lutte ne fait que commencer.