LA SAUTERELLE de Paul Eluard
Posté par othoharmonie le 25 juin 2014
Dans le Portrait de Paul Éluard (7), le corps de la sauterelle « combinée » (avec poisson, visage ,fourmis et végétaux) est à la fois pénétrant et pénétré, emboîté. L’épi de maïs pénien du corps et des ailes, découvrant en son extrémité comme l’ébauche d’un gland, s’imbrique dans le thorax du poète ; tandis que l’annulaire d’une main surgie de la base du cou s’enfonce dans le trou à bords nets de l’abdomen de l’insecte. La machine homosexuelle est parfaite, avec ses pouvoirs de fécondation réciproques, l’échange et la transfusion, le partage des lieux du corps, des femmes et des fantasmes. La sauterelle, en son apparente unité, est donc déjà un objet surréaliste. Loin de fonctionner comme signe ou nœud de représentations, l’agencement met en relation immédiate des parties hétérogènes mais non dénuées de sutures, jonctions, zones de passage, espaces de devenir ; ces parties sont corollaires des régions fantasmatiques du corps ; elles entretiennent avec celles-ci des relations figurales complexes, selon des procès de dispersion, projection, analogie formelle, passage à la limite, que l’expérience surréaliste tente de rapporter au sujet physique, dans sa multiplicité :
« À la limite de cette culture du désir naissant, nous semblons attirés par un nouveau corps, nous percevons l’existence de mille corps objectifs que nous pensions avoir oubliés. » Gilbert Lascault passe en revue cette carte anatomique. Il souligne justement l’attention portée aux sécrétions, excrétions, odeurs et fluides ; l’intérêt pour ce qui trahit, tranche, évoque, prend par surprise ou contrepied, l’allusion : le plaisir dans l’ascèse, la mort dans le vivant, le mouvement de la statue, l’huile et les couleurs sur le tableau séché. Fascination des poils et de leurs migrations, de la moustache verticale, mythe, index et signature :
« Elles sont très utiles pour attirer les petites particules, en les empêchant non seulement de se coller à la toile, mais aussi d’entrer dans votre bouche ou votre nez. Elles agissent comme des antennes. »
La moustache est sauterelle, accrochée à sa lèvre, protectrice. La bouche est cet orifice où tout le corps de Dali se conjugue avec d’autres choses, les autres, comestibles ou pas, êtres inanimés ou vivants, femmes aimées, Gala. C’est par l’idée d’une dévoration frénétique à l’œuvre dans L’Angelus de Millet que le peintre fera resurgir le sujet de la mante religieuse.
La sauterelle ne fonctionne pas comme signe, dans le jeu des évocations suscité par sa face signifiante. Dali ne semble attacher aucune importance à son nom, malgré le « sauter-elle » ou le « saute-réel » plein de promesses qui le composent. Elle insiste davantage par sa bio-physiologie : itinérante, collective, mouvements de masse de voyageurs et destructeurs, armées, fléaux.
Elle vaut sans doute par sa forme. Indice ou analogon, l’insecte métaphorise le doigt, le fœtus, le pénis ou l’étron.
L’essentiel n’est pas de représentation.
La sauterelle n’est pas à la place d’autre chose, mais au lieu où les choses, si distantes soient-elles, se croisent et s’entremêlent, se modifient, se détruisent, et s’engendrent. Elle est un plan de consistance où le minéral du marbre, la végétation des algues ou des cheveux, l’animalité humai ne métabolisent leurs substances en des monstres ou des filiations insoupçonnables. Elle est un de ces lieux par où la mort se mêle au vivant, l’amour au meurtre, le mâle au femelle. Une forme en laquelle l’histoire infantile rejoint l’entomologie. Une frontière molle, transgressive, entre la passion de peindre et le goût de discourir, les images et les mots. Un point de dérive moyen entre la bouche et l’anus.
Ainsi de la sauterelle, machine de désir dissociable et singularisée. La sauterelle est d’abord un souvenir d’enfance…
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