La Chèvre 6
Posté par othoharmonie le 11 mai 2014
Parmi ces vices impurs, figure la concupiscence, et Vulson de la Colombière en témoigne : « La Chèvre ronge avec des dents venimeuses les bourgeons des meilleurs arbres, ruinant la campagne, d’où vient que les Athéniens la bannissoient de leur territoire, et même aujourd’hui elles sont défendues en plusieurs provinces de France. La Chèvre dénote la femme de mauvaise vie, car tout de même que sa morsure est pestilentielle aux bourgeons, ainsi les baisers et les paroles de la courtisane causent beaucoup de dommages et de malheurs aux hommes ; et comme la Chèvre cherche à manger les bourgeons et nouvelles feuilles, tout de même la femme débauchée tache à corrompre et attirer en ses filets les jeunes gens comme étant plus facile à décevoir pour le peu d’expérience qu’ils ont. »
Enfin, le caractère ambigu de la chèvre se retrouve dans ce que l’on dit de son intelligence. Pour Pline l’Ancien, elle est remarquable, et il en veut pour preuve l’histoire suivante : « Deux chèvres venant en sens contraire se rencontrèrent sur un pont très étroit ; le peu de largeur de la passerelle ne leur permettait pas de faire demi-tour, et la marche en arrière était rendue impossible en raison de la longueur du chemin à parcourir, sans voir, sur une piste étroite, avec, au-dessous, la menace d’un torrent aux ondes rapides. Alors une des deux chèvres se coucha, et l’autre passa en l’enjambant. »
Or La Fontaine, traitant du même sujet dans sa fable Les Deux Chèvres, leur prête assez de bêtise et de fierté mal placée pour qu’aucune ne veuille céder le chemin à l’autre, et que cela les conduise à leur perte :
Dès que les Chèvres ont brouté,
Certain esprit de liberté
Leur fait chercher fortune; elles vont en voyage
Vers les endroits du pâturage
Les moins fréquentés des humains.
Là s’il est quelque lieu sans route et sans chemins,
Un rocher, quelque mont pendant en précipices,
C’est où ces Dames vont promener leurs caprices;
Rien ne peut arrêter cet animal grimpant.
Deux Chèvres donc s’émancipant,
Toutes deux ayant patte blanche,
Quittèrent les bas prés, chacune de sa part.
L’une vers l’autre allait pour quelque bon hasard.
Un ruisseau se rencontre, et pour pont une planche.
Deux Belettes à peine auraient passé de front
Sur ce pont;
D’ailleurs, l’onde rapide et le ruisseau profond
Devaient faire trembler de peur ces Amazones.
Malgré tant de dangers, l’une de ces personnes
Pose un pied sur la planche, et l’autre en fait autant.
Je m’imagine voir avec Louis le Grand
Philippe Quatre qui s’avance
Dans l’île de la Conférence.
Ainsi s’avançaient pas à pas,
Nez à nez, nos Aventurières,
Qui, toutes deux étant fort fières,
Vers le milieu du pont ne se voulurent pas
L’une à l’autre céder. Elles avaient la gloire
De compter dans leur race (à ce que dit l’Histoire)
L’une certaine Chèvre au mérite sans pair
Dont Polyphème fit présent à Galatée,
Et l’autre la chèvre Amalthée,
Par qui fut nourri Jupiter.
Faute de reculer, leur chute fut commune;
Toutes deux tombèrent dans l’eau.
Cet accident n’est pas nouveau
Dans le chemin de la Fortune.
Une fois de plus, on le voit, entre le texte antique et son adaptation du XVIIe siècle, le statut symbolique de la chèvre a subi une nette dépréciation : de particulièrement intelligent qu’était cet animal pour Pline, il devient un modèle de stupidité chez La Fontaine.
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