DE FRANCE ET DU POITOU
« Les chèvres font partie de nos vies, de nos familles. Sans les chèvres, nous ne sommes pas complètement nous-mêmes, mais, avec elles, nous nous sentons plus forts. S’il n’y avait pas eu les chèvres… »
Luan Starova « Le temps des chèvres »
Il y a fort longtemps
Au Véme siècle avant notre ère, le nord de notre pays bien que déjà habité, vit venir s’installer des colons Danubiens, peuple de cultivateurs et d’éleveurs. Depuis fort longtemps, la chèvre originaire d’Asie avait remonté avec l’homme la vallée du Danube et continuait de le suivre. Près de la méditerranée, des fouilles archéozoologiques menées à Châteauneuf du Rhône (Bouches – du – Rhône) amèneront à la découverte d’ossements d’ovicapridés, identifiés comme datant du VIe – Véme° siècle av. J. C., mais 1 rapport entre ossements de caprins et d’ovins ne fut pas établi. Dans des gisements du Bas Languedoc et du Roussillon, la présence d’ossements de capridés est soulignée et atteint les 70 % de la totalité des ossements recueillis. Ces animaux domestiques avaient accompagné l’homme venu de l’Orient via les Balkans par voie terrestre ou navigation côtière. Près de Marseille, ville des Phocéens (Véme siècle av. J.C.) des ossements de caprins furent également découverts.
Les Gaulois, agriculteurs et cultivateurs, élevèrent également des chèvres, surtout dans le secteur qui devait s’appeler la Gaule Narbonnaise.
La paix gallo romaine
La romanisation qui suivit la conquête de la Gaule, grande période de paix, favorisa essor de l’agriculture et de l’élevage. De grands domaines (Villae) s’établirent sur des terres reconnues fertiles en des pays au relief peu accidenté. Un tel domaine pouvait s’étendre parfois sur près de mille hectares et avoir à son service quatre cents personnes : hommes des champs, bergers, serviteurs, artisans. à côté de ces domaines, de petits propriétaires ou des ouvriers vivaient avec quelques esclaves. La chèvre, qui trouve seule sa nourriture, était alors un animal de la maison, point de la ferme.
Plus le terrain est accidenté et pauvre, plus les chèvres seront nombreuses. Dans les régions de garrigues, elles formeront l’essentiel du troupeau des bergers.
Les invasions
Plus de deux siècles de paix viennent de s’écouler. Les envahisseurs vont déferler sur le pays : Vandales, Francs, Arabes, Normands. Durant cinq siècles, les rois mérovingiens se montreront incapables de faire régner l’ordre. Tout n’est que dévastation et massacres.
En 584, une terrible famine sévit en Gaule, la population est décimée. Alors que vaches et moutons sont habitués à être conduits au pâturage, porcs et chèvres se débrouillent seuls en forêt, jachères et friches. Déjà à cette époque, rempart contre la disette et la famine, la chèvre, seule richesse des humbles, est pourchassée par les propriétaires. De ses dents, elle détruit les jeunes pousses de la forêt.
L’alimentation des humbles consiste surtout en bouillons de céréales et de produits lactés. Sans terres et trop pauvres pour acheter une vache, ils traient le lait des brebis mais surtout celui des chèvres.
Charlemagne et le Moyen Age
« D’un coup, l’histoire de nos campagnes s’éclaire au temps de Charlemagne » (Georges Duby). Propriétaire d’immenses domaines, Charlemagne exige de ses intendants de rendre ses terres productives et de bien nourrir le bétail, les invitant alors à prendre leçon auprès des moines des abbayes, agronomes réputés.
Les manuscrits laissés par les religieux copistes permettent d’apprécier les conditions de vie de l’époque, en particulier les coûts : un cheval valait entre 240 et 360 deniers, une vache 14, un mouton entre 12 et 15, mais on ne cite point de prix pour la chèvre, cet animal n’étant pas considéré comme faisant partie du cheptel. Administrateur économe, Charlemagne conseille néanmoins de ne point perdre la viande de chèvre car une fois salée, elle sera servie en nourriture aux serviteurs et aux esclaves (dont la valeur oscille de 144 à 170 deniers).
Des recherches archéozoologiques réalisées près de Doucin (Nord) donnent un aperçu de ce qu’était la consommation en nourriture carnée de cette époque. Dans les sites seigneuriaux et religieux, le porc prédomine avec 60 % de la consommation suivie par celle du bœuf, 20 %, et des caprinés (moutons et chèvres), 30 %. Dans les sites ruraux, le porc représente 30 % de l’alimentation carnée, le bœuf 45 % et les caprinés 15 %. Parmi ces derniers, les chèvres représentent 15 à 20 % du total. Le gibier constitue la partie restante.
Si la part porc – bœuf – mouton prévaut au nord de la Loire, une étude de J.-M. Yvinee a montré que la part caprine est en revanche prioritaire en Provence et Languedoc.
Au XII° et XIII° siècles, l’agriculture se développe. Les marais sont en partie asséchés, et des terres sont gagnées sur les forêts. Lorsque l’ancien serf, devenu tenancier, peut implanter une nouvelle exploitation, il entoure ses terres de haies, réservoir inépuisable de nourriture tout au long de l’année pour des chèvres capables de trouver celle-ci aussi bien au sol qu’en hauteur. La chèvre vit chez le paysan, mais aussi dans la basse cour du château. A l’emplacement de la motte féodale de la Mothe Tuffeau, près de Chef-Boutonne (79), deux squelettes de chèvres adultes datés du XIIIe siècle ont été retrouvés.
Par la suite, la guerre de cent ans (1350 – 1453), lutte terrible entre les Rois de France et d’Angleterre, ruinera la province, et des contrées entières du Poitou-Charentes redeviendront désertes.
La Renaissance
du village ne pouvant nourrir l’enfant de leur mamelle faire appel à des chèvres. Ces chèvres viennent de suite allaiter les enfants. Quand ils crient elles accourent ».
Montaigne (1532 – 1592) dans « Essais »
En Poitou
Au début de la Renaissance, le Poitou va offrir à la chèvre un pays d’accueil des plus favorables à son développement. Des haies vives entourent une multitude de petits terrains. Un réseau de chemins herbeux dessert ce parcellaire. Ces terrains sains reposent sur un sous sol calcaire qui s’égoutte vite et se prête aisément à l’élevage des caprins.
Présente sur l’exploitation agricole, la chèvre vit également dans toutes les maisons du village et dans la plupart des maisons du bourg. Peu chères à l’achat, bonnes productrices, les chèvres se retrouvent plus nombreuses que les propriétaires de terrains. La densité de la population caprine ne sera pas uniforme sur toute l’étendue de la province. Elle est moindre en Gâtine et dans le Bocage où les prairies permettent l’élevage du gros bétail. Peu présente dans les marais, elle trouve pitance sur les digues et les mottes en complément du fourrage que l’éleveur lui donne dans la maison. Plus ou moins nombreuses, nos chèvres sont cependant partout. Cela se traduira dans le futur département des Deux Sèvres par une localisation des caprins principalement dans le pays Mellois, les régions d’Airvault, de Saint-Loup sur Thouet et le Thouarsais, là où la vigne n’est pas plantée.
A cette époque, notre chèvre n’est toujours pas considérée comme animal faisant partie du cheptel. Sur les anciens baux, point de valeur pour la chèvre alors que tous les autres animaux sont estimés. On parle de l’aumaille pour le gros bétail, du brébail pour le mouton. Pourtant, en examinant de vieux baux, au chapitre des « suffrages », compléments à la principale redevance du fermage, un propriétaire Gâtinais exige que lui soient fournis douze fromages de saison à la Pentecôte (fromages frais) et douze fromages gras à la Toussaint (fromages affinés).
Il est admis que le troupeau caprin du Poitou est alors de loin bien inférieur à celui présent dans les montagnes du Dauphiné, du Vivarais, de la Corse ou sur les terrains secs et caillouteux de la Provence.
En France, un intérêt croissant
La Renaissance, époque d’études, de recherches, et de développement de l’agriculture, tente de maîtriser l’économie. Des agronomes notent alors l’intérêt zootechnique de la chèvre.
Charles Estienne dans son livre « Du Chevrier » (1564) écrit: « En quelques endroits de notre France les éleveurs n’ont ni commodité, ni abondance de bétail plus grande que la chèvre de laquelle ils recueillent laitages…La chèvre se nourrit quasi de rien… se paist de toutes sortes d’herbes, si bien qu’on ne vit la chèvre mourir de faim… Le chevrier doit être de la condition de la chèvre, adextre et allaigre, non qu’il suive son troupeau comme les pasteurs mais qu’il soit toujours devant… ». Viennent d’autres recommandations pour la reproduction de la chèvre, l’élevage des chevreaux, la castration du bouc, la façon de conserver et de cuisiner la viande et de fabriquer divers produits médicamenteux grâce à la graisse des animaux.
Un autre auteur, Olivier De Serres (1539 – 1570) consacre plusieurs pages à l’élevage de la chèvre dans son livre «Théâtre de l’agriculture et Mesnage des champs », premier grand livre de l’agriculture française. Seigneur du Pradel en Vivarais, il était très bien placé pour apprécier l’intérêt à porter à cet animal. Au chapitre des chèvres, il mentionne « de leur lait sortent leurs fromages, leurs chairs bonnes à manger, leurs peaux utiles et leurs fumiers enviables… Il n’y a de bétail qui rapporte avec si peu de frais, il se paist de tout jusqu’aux herbages malings…Les chèvres fertiles approchent de près le rapport des vaches… ». Après ces compliments, l’auteur met cependant en garde le chevrier des dégâts causés par cet animal « aigre et turbulent ». « Afin de cesser ses dégâts, ne laisser des chèvres qui en son domaine aura landes et buissons à suffisamment halliers et lieux incultes… ».
Au regard de toutes ces vertus, le nombre des chèvres va aller croissant en France, accompagnant l’augmentation de la population rurale qui est de très loin majoritaire dans le pays. Il va s’ensuivre pour les éleveurs des incidents avec les propriétaires terriens et les représentants de l’autorité.
source : http://public.terredeschevres.fr/1_PRINCIPAL/1_1_terre/Histoire/Histoire_02.html