Le colibri, gros plan
Posté par othoharmonie le 19 janvier 2014
Fascinants par leur taille minuscule, les colibris, qui passent de fleur en fleur pour trouver le nectar qui constitue l’essentiel de leur alimentation, sont capables d’un vol extrêmement performant et rapide. Battant des ailes plusieurs dizaines de fois par seconde – de sorte, qu’en vol, il est impossible de distinguer ces dernières –, les « oiseaux-mouches », comme ils sont surnommés, sont les seuls oiseaux à savoir voler en marche arrière.
1. La vie des colibris
1.1. De petits oiseaux amateurs de nectar
Indépendants et plus ou moins agressifs, les colibris vivent en général en populations lâches. Ils présentent, selon les espèces, diverses manières de se nourrir et d’occuper l’espace. Les « territoriaux » exploitent des végétaux à fleurs très riches en nectar et ont tendance à se contenter de territoires restreints qu’ils défendent âprement à coups de bec contre tout intrus. Ils se déplacent peu, à l’inverse des « trappeurs » qui, s’intéressant à des fleurs moins mellifères, doivent nécessairement couvrir davantage de terrain pour subvenir à leurs besoins. Les « généralistes » ne se contentent pas seulement du nectar des fleurs ; ils sucent aussi le jus s’écoulant des fruits abîmés ou trop mûrs, capturent des insectes en vol ou explorent les fleurs et les feuilles à la recherche de ceux qui se seraient englués dans le suc. Les colibris « chapardeurs » pillent même les toiles d’araignée, dont ils s’approprient adroitement les victimes. Pour recueillir le nectar, les colibris « perceurs », comme le colibri féerique, Heliothryx barroti, ou le colibri à épaulettes, Eupherusa eximia, percent la base des longues corolles, car leur bec est trop court pour s’introduire jusqu’au fond.
Une langue pour récolter le nectar
Une langue pour récolter le nectar
La langue des colibris est un remarquable outil. La scission en deux branches, l’enroulement des bords en deux gouttières longitudinales et la présence de fines excroissances favorisent la rétention du suc des fleurs. La langue est également protractile, c’est-à-dire capable de saillir nettement hors du bec, grâce aux deux muscles latéraux de la langue qui passent sous le crâne, puis remontent par-dessus pour se fixer enfin à la hauteur des fosses nasales, tout près de la base du bec.
Des oiseaux polygames
Chaque année, à la saison des amours, la recherche d’un ou d’une partenaire est l’occasion de parades ritualisées. Dans les forêts tropicales à la végétation dense, le mâle se contente souvent de démonstrations assez statiques, préférant demeurer immobile et se fier à sa voix pour séduire une femelle. Pourtant, la plupart des colibris sont de si piètres chanteurs qu’ils doivent unir leurs faibles gazouillis pour être audibles. Ces chœurs réunissent plus de cent participants chez l’ermite à brins blancs, Phaethornis superciliosus. Ailleurs, la parade des mâles donne lieu à un véritable ballet aérien auquel s’associe généralement la femelle. Toutefois, les femelles de certaines espèces se posent plus volontiers sur une branche proche pour assister aux évolutions de leur mâle.
Après l’accouplement, la femelle abandonne le mâle. Elle assumera seule les exigences de la ponte, de la couvaison et de l’élevage des jeunes.
1.2. Un nid construit par la femelle
Installé sur une fourche d’arbre, sur une liane, dans un cactus ou à l’extrémité d’une large feuille (sur sa face inférieure), le nid du colibri, très élaboré chez certaines espèces, peut être très volumineux, représentant jusqu’à vingt fois la taille de l’oiseau. Mais il se réduit parfois à une délicate cupule, guère plus grosse qu’une demi-noix.
Le nid est l’œuvre exclusive de la femelle. Celle du colibri lucifer, Calothorax lucifer, n’attend d’ailleurs pas d’avoir trouvé un partenaire pour en réaliser la construction. Réunissant de la mousse, des fibres, des tigelles, des brins d’herbe, des débris d’écorce, de la bourre et même du duvet, elle élabore rapidement un édifice soigné. Il faut une quinzaine de jours et des centaines d’allers et retours à la femelle du saphir à oreilles blanches, Hylocharis leucotis, pour bâtir la douillette coupe de mousse dont elle fixe l’assise à l’aide de toiles d’araignée et qu’elle tapisse de poils fins, prélevés sur des galles du chêne.
Récolte tous azimuts
Pour rendre le nid le plus confortable possible, les colibris utilisent des matériaux variés. Les lichens sont très recherchés, car ils offrent à la fois un camouflage précieux et une bonne protection contre les infiltrations d’eau de pluie. Les qualités adhésives des fils et des toiles tissés par les araignées et certaines chenilles servent tantôt à ceinturer les divers éléments du nid, tantôt à fixer celui-ci sur son support, notamment lorsque la construction est élaborée à l’extrémité d’une feuille retombante. Dans ce dernier cas, les observateurs ont noté que la longueur de la feuille choisie et la façon dont elle retombe sont des paramètres fondamentaux : il ne faut pas que la feuille soit susceptible d’être retournée par le vent, ce qui condamnerait les œufs.
La femelle du colibri thalassin, Colibri thalassinus, laisse pendre, à l’extérieur de son nid, des brins d’herbe dont la verticalité favorise l’écoulement des gouttes de pluie.
Tous les matériaux sont bons, qu’ils soient d’origine végétale, animale ou humaine. Au Costa Rica, des colibris ont été observés prélevant des cheveux sur la tête d’observateurs parfaitement immobiles, sans doute pour en tapisser l’assise de leur nid, comme s’il s’agissait de bourre végétale. Dans certains cas, des colibris se livrent au pillage de nids d’autres espèces. Une femelle de colibri thalassin a ainsi été vue profiter des absences de la propriétaire d’un nid occupé par des petits pour y voler de la mousse.
1.3. Des centaines de voyages pour nourrir les poussins
Ce sont le plus souvent deux œufs qui sont pondus, à 48 heures d’intervalle. Comparativement à la taille de certains colibris, ces œufs sont assez volumineux, bien que leur poids soit, en moyenne, compris entre 0,4 et 1,4 g à peine. Les plus petits œufs de colibris mesurent entre 8 et 11 mm de long, ce sont ceux du colibri d’Hélène, Mellisuga helenae ; les plus gros, ceux du colibri géant, Patagona gigas, peuvent atteindre 20 mm. Quelle que soit l’espèce considérée, les œufs sont toujours d’un blanc uni et de forme elliptique. Leur taille ne les prive cependant pas d’une résistance satisfaisante aux menus accidents qui peuvent se produire, par exemple à l’occasion de coups de vent.
L’incubation nécessite de deux à trois semaines. Durant cette période, la femelle ne dispose que de brefs moments de répit pour trouver à se nourrir. Comme elle est seule à couver – le mâle, généralement, n’assure pas le relais même si quelques exceptions existent –, toute variation trop importante de température en son absence menace les embryons. L’assiduité de la femelle à couver se traduit dans certains cas par la persistance à couver durant plusieurs semaines des œufs non fécondés et dépourvus d’embryon, ou dont l’embryon est mort.
À l’éclosion, les poussins de colibris brisent leur coquille par des coups répétés qu’ils donnent de leur bec court. Très vite, celui-ci se développe, facilitant ainsi le nourrissage des petits par la femelle. Comme tous les oiseaux nidicoles (littéralement « qui aiment le nid »), les jeunes colibris sortent de l’œuf à un stade de développement peu avancé et doivent achever leur croissance en demeurant à l’abri du nid. Les poussins sont presque nus à l’éclosion, si l’on excepte de rares plaques d’un court duvet. Leurs paupières sont soudées et leurs globes oculaires se devinent sous la peau fine et quasi transparente. Au tout début de leur existence, les poussins ne réagissent donc nullement à la vue de leur mère. Ce sont les vibrations qu’elle imprime au nid lorsqu’elle se pose au bord de ce dernier qui stimulent la nichée. Les petits dressent le cou, d’abord obliquement en raison de la faiblesse de leurs muscles, puis verticalement, le bec largement ouvert. Quand leurs yeux s’ouvrent, au bout d’une semaine environ, les jeunes pointent tout naturellement leur bec vers leur mère.
Lorsque la femelle du colibri part à la recherche de nourriture, elle stocke les matières alimentaires qu’elle récolte dans la partie supérieure de son tube digestif. Il s’agit de nectar, pur ou mêlé de minuscules insectes vite ramollis par un début de digestion. De retour au nid, elle distribue la nourriture à ses poussins par régurgitation dans le gosier béant de ses petits, en y enfonçant profondément le bec. Allant et venant sans cesse durant cette période où les jeunes dépendent totalement d’elle pour leur survie, la femelle renouvelle l’opération deux ou trois fois chaque heure, soit plusieurs dizaines de fois par jour.
Après environ deux à trois semaines, les petits colibris abandonnent le nid. Ils sont alors capables de voler et se livrent à des simulacres de vols nuptiaux, véritables exercices d’entraînement qui annoncent les futures parades.
1.4. Voler aussi en reculant
Qu’il s’agisse de parcourir un territoire, de se livrer à des déplacements migratoires à la recherche de nourriture ou d’attirer l’attention d’une femelle, l’existence du colibri se déroule essentiellement dans les airs. Au cours de toutes ses activités, le colibri se déplace à la force de ses ailes. Il est assez rare de voir cet oiseau marcher, et, même lorsqu’il lui faut changer de place sur une branche, il préfère voler brièvement plutôt que d’avoir recours à ses modestes pattes.
Malgré sa petite taille, il est un authentique champion du vol et sa vitesse est surprenante. Selon des études pratiquées en soufflerie citées par l’Américain Scott Weidensaul, le colibri à gorge rubis, Archilochus colubris,atteint 43 km/h, et quelques espèces tropicales vont jusqu’à 70 km/h. Certains ornithologues estiment que les colibris seraient capables de voler à 95 km/h ou même de dépasser les 100 km/h dans la nature, sans doute aidés par de puissants vents favorables.
Les colibris sont, par ailleurs, les seuls oiseaux au monde capables de voler en marche arrière.
Un rythme spectaculaire
L’oiseau-mouche peut filer droit dans les airs, pratiquer le vol stationnaire ou reculer en modifiant simplement l’incidence de ses ailes, c’est-à-dire leur angle d’attaque dans l’air. Mais, quel que soit le mode de vol qu’il choisit, le rythme de ses battements d’ailes, incroyablement rapide, ne varie pas. De l’ordre d’une cinquantaine ou d’une soixantaine par seconde, l’ornithologue français J. Berlioz en retient les valeurs de 78 et même 200 – ce qui constituerait le record absolu – chez certaines espèces.
1.5. Milieu naturel et écologie
L’altitude et la latitude importent peu aux colibris, que l’on rencontre sur tout le continent américain, de l’Alaska à la Terre de Feu, des forêts de plaines aux hautes montagnes. Le colibri détenteur du record d’altitude est le métallure de Stanley, Chalcostigma stanleyi, qui vit sur les pentes des volcans équatoriens, au-dessus de 3 800 m.
Aux épaisses forêts tropicales, les colibris préfèrent souvent les milieux moyennement boisés, les habitats ouverts parsemés de buissons, ou même les régions subdésertiques. En effet, ces oiseaux qui nichent souvent à moins de cinq mètres du sol s’accommodent mal des très grands arbres. De plus, les forêts pluviales ne recèlent pas toujours les fleurs qui leur conviennent.
Les colibris sont plus rares dans les régions arides. Ainsi, le saphir Xantus, Hylocharis xantusii, qui vit dans la presqu’île de Basse-Californie, à la très maigre végétation, et le colibri à queue courte, Myrmia micrura, qui fréquente le littoral aride du sud de l’Équateur et du nord-ouest du Pérou, sont des cas extrêmes. Se nourrissant du suc des cactées, ils dépendent du pic des cactus (Melanerpes cactorum) ou de certains insectes aux puissantes mandibules pour entamer l’enveloppe épaisse de ces plantes coriaces.
Le colibri roux, Selasphorus rufus, qui atteint l’Alaska, est l’espèce la plus septentrionale. L’espèce qui s’étend le plus au sud est le colibri du Chili, Sephanoides sephaniodes. Présent à l’ouest de la cordillère des Andes, il atteint la Patagonie. On l’observe en Terre de Feu et jusqu’aux îles Malouines.
D’amples mouvements migratoires
Ces oiseaux-mouches aux répartitions extrêmes qui nidifient dans les régions tempérées n’y disposent souvent plus d’une nourriture assez abondante, en hiver quand fleurs et insectes se raréfient. L’arrivée de la mauvaise saison est l’occasion de mouvements migratoires dont l’ampleur peut surprendre si l’on considère la petitesse de ces oiseaux. Pourtant, leurs performances sont élevées et leur musculature autorise des déplacements rapides et à grande échelle. Le colibri roux, par exemple, niche sur une étroite bande depuis l’Alaska jusqu’à l’Arizona et hiverne au Mexique. Les trajets les plus spectaculaires sont accomplis par le colibri à gorge rubis,Archilocus colubris, qui occupe en été la moitié est des États-Unis et l’extrême sud-est du Canada, et hiverne au sud du Mexique et en Amérique centrale. Ces oiseaux sont parfois victimes d’un coup de froid tardif une fois revenus sur leurs lieux de nidification les plus septentrionaux.
Certains parmi les colibris se contentent de voler au-dessus des terres ou de longer la côte du golfe du Mexique. D’autres oiseaux relient la Floride à la péninsule mexicaine du Yucatán, parcourant plus de mille kilomètres d’une traite au-dessus des flots.
Une bonne résistance au froid
Au Québec, l’ornithologue Arthur C. Bent a observé des colibris ayant résisté à une température inférieure à 0 °C pendant plusieurs jours et à un enneigement de 15 cm ; les oiseaux se nourrissaient alors de menus insectes engourdis.
Les colibris sédentaires habitant des zones montagneuses intertropicales, à plusieurs milliers de mètres d’altitude dans les Andes, présentent une adaptation aux baisses nocturnes de température. Leur métabolisme chute et ils entrent dans une léthargie accompagnée d’un ralentissement des rythmes respiratoire et cardiaque, avec baisse de la température interne. Chez le colibri de Clémence, Lampornis clemenciae, on compte de 480 à 1 200 battements cardiaques à la minute, pour une température ambiante de l’ordre de 30 °C dans la journée. La nuit, lorsque la température a chuté de moitié, son rythme cardiaque tombe à 36 pulsations à la minute.
Un engourdissement provisoire est également constaté chez certains colibris, dont le métallure à gorge de feu (Metallura eupogon). Chez ces espèces montagnardes, la température corporelle nocturne est légèrement inférieure à 20 °C, c’est-à-dire à la moitié de la température diurne.
Des oiseaux pollinisateurs
Seuls oiseaux du Nouveau Monde à se nourrir essentiellement de nectar, les colibris jouent un rôle certain dans la pollinisation. Il reste à prouver que certaines fleurs ne pourraient exister sans les colibris qui, eux-mêmes, disparaîtraient en l’absence de ces fleurs ; mais il est établi que quelques fleurs, dont celles à corolle tubulaire, ont besoin d’espèces de colibris déterminées pour assurer leur pollinisation dans des proportions importantes. Des adaptations botaniques sont apparues sur certaines fleurs. Ainsi, tant qu’une fleur de Centropogon n’est pas visitée par un colibri, ses étamines sont orientées vers le bas. Lorsqu’un colibri vient en prélever le nectar, son crâne heurte les étamines et se couvre de pollen ; ces dernières se relèvent alors et dégagent le pistil, qui pourra recevoir à son tour le pollen véhiculé par un autre colibri. De même, lorsque le campyloptère violet, Campylopterus hemileucurus, visite une fleur de Rasizea spicata, le pistil, d’abord relevé, s’abaisse dès que les étamines ont été délestées de leur pollen.
De rares prédateurs
En raison de leur petite taille et de leur vol extrêmement véloce, les colibris n’ont pour ainsi dire pas de prédateurs réguliers. De plus, ils se montrent fort agressifs et n’hésitent pas à foncer sur rivaux, intrus ou prédateurs, en cherchant à les piquer avec le bec, avant de s’esquiver prestement.
Les plus gros d’entre eux sont parfois la proie de certains faucons, et les serpents arboricoles s’attaquent de nuit aux colibris somnolents. Enfin, les petites espèces seraient susceptibles de se prendre dans les grosses toiles d’araignées. Le chercheur Scott Weidensaul cite également des captures occasionnelles par des libellules, des mantes religieuses, et même par des poissons et des grenouilles, qui s’empareraient des colibris pendant leur bain.
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