Le Lézard et le Maïs
Posté par othoharmonie le 26 février 2013
(adapté d’un conte des Indiens de l’Ouest de l’Amazonie)
Il était une fois un homme très avare. On l’appelait » l’Avaricieux « . Il possédait dans son jardin toutes sortes de plantes, mais surtout le maïs. Il le faisait garder nuit et jour par des myriades de frelons et autres serpents venimeux. Personne d’autre ne possédait le maïs. Parfois, après s’être fait supplier, flatter, il donnait un peu. Un tout petit peu. Mais il était malin ! Les grains de maïs qu’il donnait étaient déjà grillés, les jeunes pousses pelées ou privées de leurs racines. Si bien que rien de ce qu’on réussissait à obtenir de l’Avaricieux ne poussait une fois planté ou semé dans les jardins.
En ce temps-là, Shabon le Lézard avait une petite bouche, des doigts et des orteils semblables aux nôtres. Il décida un jour d’aller voler du maïs à l’Avaricieux.
- Ce n’est pas dans son jardin qu’il faut aller lui voler le maïs, c’est trop bien gardé… J’irai au cœur même de son domaine, dans sa maison.
Et voilà Shabon arrivant chez l’Avaricieux. Sa femme triait justement le maïs. Tout doux tout miel, le Lézard s’annonça et proposa de l’aider.
La femme de l’Avaricieux se montra d’abord méfiante… Mais elle n’était pas très vaillante à la tâche.
- Ma foi, finit-elle par dire, si tu m’aides réellement, pourquoi pas ? Mais attention ! Ne t’avise pas de me voler un seul grain !
– Moi ? Voler ? répondit Shabon, je suis juste venu pour bavarder et te donner un coup de main.
Et il commença à trier le maïs, sous l’œil soupçonneux de son hôtesse.
Mais ce qui devait arriver arriva : la femme de l’Avaricieux eut soudain une envie pressante, très pressante… Elle compta, un par un, les grains du tas déjà égrené, puis ceux qui restaient sur l’épi de Shabon, tous…
- Et ne t’avise pas, sacripant, de m’en voler un seul ! dit-elle avant de sortir faire ses besoins.
Dès qu’il fut seul, Shabon le Lézard attrapa un grain de maïs et le fourra dans sa bouche, tout au fond, caché derrière la dernière dent… et il se remit consciencieusement à l’ouvrage.
La femme de l’Avaricieux revint. Elle compta un à un les grains de maïs, ceux du tas égrené, puis ceux qui restaient à trier. Il en manquait un ! La colère montait. Elle compta et recompta. Plus de doute possible ! Elle laissa éclater sa fureur :
- Il manque un grain de maïs, tu nous l’as volé !
Elle saisit Shabon et lui fit ouvrir les doigts et les orteils. Rien. De rage, elle lui ouvrit la bouche si fort qu’elle la déchira quasiment jusqu’aux oreilles. Mais le grain de maïs était bien caché, tout au fond, derrière la dernière dent. La femme de l’Avaricieux ne le vit pas.
Et quand l’Avaricieux revint de son jardin, ce fut le même spectacle. Il chercha encore et encore. Il lui ouvrit les mains et pour mieux regarder entre les doigts les lui écarta si brutalement qu’il les déchira jusqu’aux poignets. Il fit de même avec les orteils qu’il lui écarta jusqu’aux talons.
Mais le grain de maïs restait introuvable.
- Peut-être qu’il a roulé sous quelque chose, suggéra le pauvre Shabon, le maïs toujours caché derrière la dent.
Sans attendre, l’Avaricieux et sa femme se mirent à quatre pattes pour chercher. C’est alors que Shabon bondit hors de la maison et déguerpit sans demander son reste. Une fois hors d’atteinte, le Lézard planta le grain de maïs au milieu de son jardin. Il le soigna comme si c’était son fils, et le grain germa…
Et depuis cet exploit courageux de Shabon le Lézard, nous avons le maïs… Et pour que nul n’oublie son exploit courageux, les Lézards ont toujours la bouche fendue jusqu’aux oreilles et des doigts immenses et frêles déchirés jusqu’aux poignets et aux talons.
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