La cigale et la fourmi revisité

Posté par othoharmonie le 4 janvier 2013

 

La cigale chantait, car en vérité, telle était sa nature. A quoi bon vouloir être autrement qu’on est ? A quoi bon désirer faire autre chose que ce pour quoi on est fait ?

La cigale et la fourmi revisité dans FOURMI 250px-la_cigale_et_la_fourmi_illustration_dore-243x300La fourmi écoutait la cigale, et trouvait son chant si beau qu’elle en conçut de la jalousie. Elle-même ne chantait jamais. Elle n’était pas faite pour ça, tout simplement. Mais elle ignorait pour quoi elle était faite. Alors elle décida qu’elle était faite pour chanter, comme la cigale. Mais après de nombreux essais, elle s’aperçut qu’elle n’arrivait à rien, et que les sons qu’elle produisait étaient tout sauf mélodieux. Elle alla trouver la cigale, et lui demanda de lui céder sa voix. Mais la cigale lui répondit que c’était impossible, car sa voix et elles n’étaient qu’un, et que donner sa voix eut été comme se donner elle-même. La fourmi repartit, déconfite.

Au lieu de chercher pour quoi elle était faite, elle imagina un moyen de voler la voix de la cigale. Elle se dit qu’il fallait pour ça que la cigale renonce à son talent et le lui donne elle-même. Et que si son talent et sa personne ne faisaient qu’un, alors il fallait qu’elle se donne en entier. Elle chercha dans un vieux grimoire la façon d’appeler l’hiver. La méthode, en substance, disait ceci : « La peur de l’hiver appelle l’hiver. Il faut répandre la peur de l’hiver. Alors l’hiver accourt. »

La fourmi imagina la façon de réaliser son dessein. Elle commença à récolter plus de nourriture qu’elle n’en pouvait manger, et à la stocker dans ses caves. La voyant faire, les habitants de la région s’étonnèrent et s’enquirent auprès d’elle de la raison de son étrange comportement. Elle leur répondit laconiquement : « Et bien, on se sait jamais ce qui peut arriver… Je suis inquiète, alors je me prépare, au cas où… Mais chacun fait bien ce qu’il veut ! » Et elle retourna à sa méthodique besogne.

La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre. Et avec elle, l’angoisse de la pénurie. Chacun se mit à faire comme la fourmi, et peu à peu, le chant de la nature s’étouffa : tous ne pensaient plus qu’à se constituer des réserves au lieu d’exprimer leur talent. Bientôt, l’harmonie générale fit place à la sourde clameur de l’angoisse. L’hiver, de bonne volonté, répondit naturellement à l’appel qu’on lui lançait avec autant de conviction et ne tarda point à montrer le bout de son nez. La cigale voyait bien que tout tournait mal, mais se refusait à alimenter cette folie ! Elle continua à chanter autant qu’elle le put. Mais il advint qu’un matin, le froid lui déroba une partie de sa voix.

La nourriture aussi, devenait introuvable. La pauvre bête songea : « Tous croient que l’hiver a volé la nourriture. Alors qu’en fait, il est simplement venu parce qu’il n’y a plus de nourriture, puisqu’ils l’ont toute enterrée dans leurs cachettes. La seule façon de faire savoir à l’hiver qu’il peut repartir est de faire résonner le chant de la nature. Mais le froid a cassé ma voix et, toute seule, mon chant n’est plus assez fort. Que puis-je faire ? Ma faim s’endurcit. Je ne veux pas qu’elle ferme mon cœur comme elle semble le faire un peu partout. Je vais aller trouver la fourmi et lui demander de reprendre la peur de l’hiver, qu’elle a si habilement répandue ! »

La fourmi la reçut sur le pas de sa porte, en ricanant d’un air satisfait. « Alors, on a faim ? On vient me proposer de me donner sa voix pour remplir son estomac ? ». La cigale protesta : « Nullement ! Je viens pour vous demander de rappeler la peur que vous avez répandue sur le pays. Elle sème la souffrance avec elle. Vous ne pouvez justifier le malheur d’autant d’êtres par une simple prétention personnelle ! »

La fourmi la toisa : « Ah non ? Vous croyez ? Et quel droit avez-vous de savoir chanter quand moi je ne le peux pas ? ».

« Ce n’est pas la même chose » reprit la cigale. « Lorsque je chante, je ne vous ôte rien, au contraire ! Je vous donne de la vie, du rythme, du courage. Croyez-vous que vous auriez aussi bien engrangé vos réserves cet été sans l’aide de mon chant ? Voyez-vous, toute la nature est ainsi faite : de pure harmonie, et de pure prodigalité. Le secret est simplement d’être soi-même authentique. Et cette authenticité, on ne peut pas la vendre ni la donner. Pourquoi n’avoir pas simplement cherché quel est votre talent ? Car vous avez forcément un talent naturel… »

250px-the_ant_and_the_grasshopper_-_project_gutenberg_etext_19994 dans FOURMILa fourmi l’interrompit : « Très chère, vous pouvez bien argumenter tout votre saoul, cela ne servira à rien ! Je veux être chanteuse, c’est cela ma vérité à moi. C’est ma nature, je l’ai décidé ainsi ! Et à présent, vous n’avez plus rien à manger. Alors je vous propose ceci : vous me donnez votre voix et, en échange, je vous donnerai chaque jour un peu de nourriture. Qu’en dites-vous ? »

Tristement, la cigale lui répondit : « Puisqu’on ne peut ni vendre ni donner l’authenticité, vous ne seriez de toute façon pas satisfaite de la voix que vous recevriez en échange de cette nourriture. Et de mon côté, je ne peux me résoudre à galvauder mon talent dans une piètre imitation. De plus, cette nourriture que vous détenez est le produit d’une harmonie collective, le fruit de la nature contre laquelle vous péchez gravement. Je crains que votre proposition ne soit simplement qu’une chimère, mais vous refusez de le comprendre. Je n’ai pas d’espoir de vous convaincre de changer d’attitude, alors je vais repartir et chercher ailleurs la solution de tout ce malheur. »

La fourmi s’emporta : « Et bien qu’il en soit ainsi ! Le froid et la faim auront tôt fait de vous en apprendre d’avantage sur votre prétendue authenticité : au lieu de chanter, vous allez danser, maintenant ! Que pensez-vous de cela ? Si je ne peux chanter, vous ne le pourrez bientôt plus non plus et j’arrêterai de souffrir en entendant cette voix qui devrait être mienne ! Bon vent, et à jamais ! »

La cigale s’en retourna hardiment vers l’hiver. Elle résolut de chercher d’autres talents restés authentiques au sein de la tourmente, et de perpétuer envers et contre tout l’harmonie de la nature par le partage de la chaleur des coeurs. Et de fait, elle chante encore aujourd’hui…

signé : Sphinx
Libre de diffusion, hors modifications.

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