Liens entre les lutins et les chevaux
Posté par othoharmonie le 18 octobre 2012
Plusieurs chercheurs ont remarqué des liens très étroits entre lutins et chevaux, « si étroits que, dans les chansons de geste médiévales comme dans le plus moderne folklore, lorsque le lutin prend forme animale, il adopte presque toujours celle-là ». La raison semble liée, en plus du lien à l’élément liquide et au dieu Neptune déjà évoqué, au fait que le cheval, animal familier des hommes, est aussi le plus approprié pour se rendre dans les univers féeriques et pour jouer les « tours » caractéristiques du lutin, tels que jeter un cavalier dans une mare de boue, une rivière ou une fontaine. Dans la littérature médiévale,Malabron et Zéphyr se changent fréquemment en chevaux. Le « nain » Frocin qui affuble le roi Marc’h d’oreilles de cheval dans la version de la légende fournie par Béroul au xiie siècle, est vraisemblablement issu du lutin folklorique. Le roman de Thèbes et d’autres textes évoquent aussi la paternité d’un fabuleux poulain noir pour le netun, noitun ou luiton, ce dernier étant bien connu à l’époque pour s’occuper des écuries. Guillaume d’Auvergneaffirme au xiiie siècle qu’au matin, les crins des chevaux sont retrouvés tressés, et couverts de petites gouttes de cire. François Le Poulchre ajoute en 1587 qu’un cheval rentré souillé à l’étable peut être retrouvé « estrillé et net le lendemain, sans que de créature il eut été touchée pour en oster l’ordure ». Paul Sébillot fournit de nombreux témoignages : en Normandie, le lutin mène les chevaux boire, dans la Beauce et en Franche-Comté, il les étrille, les soigne, et les nourrit, ce qui en en Haute-Bretagne les fait hennir au moment où le Maît’ Jean apporte leur nourriture. Le fouletot franc-comtois vole le foin pour le donner à sa bête préférée, si le maître n’en a pas dans son fenil. En Normandie, le lutin vole les plus beaux épis d’avoine pour ses favoris, il en est de même en Acadie, où il prend le grain des chevaux gras pour le donner à ceux des plus pauvres paysans.
L’elficologue Pierre Dubois cite de nombreux témoignages de lutins visitant les écuries durant la nuit, et laissant pour traces de leur passage des torsades dans les crinières, qu’ils utilisent afin de se confectionner des étriers (les fameux « nœuds de fées »), et galoper toute la nuit. Paul Sébillot en relève dans la Manche en 1830, cette croyance est très ancrée dans le Nord de la France, particulièrement la Bretagne et la Normandie. Preuve du forfait des lutins, le propriétaire retrouve son animal couvert de sueur au matin. Les chevaux aux « nœuds de fées » sont prisés sur les marchés bretons, et les juments réputées pour devenir de bonnes poulinières. La tradition rapporte qu’il ne faut surtout pas démêler les crinières de ces juments : dans le Berry, cela les fait avorter, en Franche-Comté cela provoque une mort dans l’année, et en Acadie, les lutins se vengent en maltraitant les chevaux. Des témoignages de crinières emmêlées sont recueillis par les paysans de Haute-Bretagne et du Québec jusqu’au début du xxe siècle.
Ces phénomènes ont été de tous temps attribués aux lutins ou à des créatures similaires, jusqu’à la découverte d’une explication scientifique, celle d’une plique polonaise, défaut d’entretien longtemps considéré comme une maladie.
La diabolisation du lutin conduit toutefois à une inversion progressive de son rôle envers les chevaux : dans le Berry, d’animal favori, le cheval devient sa victime, et « seuls l’âne et le bœuf échappent aux tourments des lutins, grâce à leur rôle dans la Nativité ». Les deux croyances coexistent parfois, le sôtré étant capable d’agacer les chevaux ou de les soigner. Un objet déjà utilisé pour se protéger des changelings, tel qu’une pierre percée (contre le foulta de Suisse romande) ou une série de coquilles d’œufs (contre le chorriquet à Treffiagat), peut être déposé dans l’écurie pour en chasser les lutins. En Ontario, des graines de lin sont mélangées à la ration des chevaux, pour forcer les lutins à trier. Les traditions canadiennes parlent de créer une girouette à forme équine que le lutin vient ensuite chevaucher, ou de faire détresser les crinières par une femme enceinte. En Haute-Bretagne, des séances d’exorcisme sont menées, mais sont mal acceptées par les populations à en croire ce témoignage collecté par Paul Sébillot : « si on brûle les crins avec un cierge bénit, le lutin ne revient jamais, mais les bêtes sont, par suite de son départ, exposées à dépérir ».
Parallèlement « les silhouettes du lutin et du cheval tendent à se confondre et à se fondre en un seul personnage dont le rôle est d’égarer, d’effrayer et de précipiter dans quelque mare ou rivière ceux qui les montent ». Paul Sébillot rapporte des croyances populaires quant à plusieurs lutins-chevaux jouant ce rôle, notamment le Bayard de Normandie, le Mourioche de Haute-Bretagne, Maître Jean, le Bugul-noz et la jument blanche de la Bruz. Dans les îles anglo-saxonnes, Puck prend cette forme pour effrayer la population.
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