U n lynx de 20,5 kg capturé vendredi 2 mars à la Rossinière, a été relâché au Mont Aubert, dans le jura du Canton de Vaud. Le lynx est équipé d’un collier émetteur et sera suivi pendant plus d’une année. Les lynx sont plus nombreux dans les Alpes alors que le Jura a perdu plusieurs individus. Ce transfert permettra de rééquilibrer les lieux d’implantation. Zoro, quant à lui (le lynx capturé en 2006 et ensuite relâché) évolue actuellement sur le territoire français au sud-est de Genève à 100 km de son lâcher.
Trop de lynx tue le lynx?
L e député vaudois Albert Chapalay estime que la surpopulation de lynx dans son canton est telle que le braconnage risque de se développer. Ses collaborateurs ont même convoqué une réunion intercantonale pour trouver une solution à la présence excessive de l’animal.
Histoire de Lynx de Lévi-Strauss, Claude. —.
Pion, Paris, 1991, 368 p., ill., bibl., index.
Puisque cette histoire de lynx est le septième sinon même le huitième volume qu’il consacre à l’étude de la mythologie amérindienne, on pourrait s’attendre à ce que Claude Lévi-Strauss y vienne conclure en quelque sorte son oeuvre en reprenant, pour les compléter, quelques démonstrations laissées en suspens dans les
Mythologiques. Or, bien que l’on trouve dans ce nouveau livre la poursuite de plusieurs intérêts anciens, l’ouvrage, heureusement, donne plutôt l’impression d’un mélange de notes, de remarques et d’inventions, pas toujours très bien organisées ni rigoureuses, souvent offertes un peu en vrac ou pêle-mêle. Il est heureux qu’il en soit ainsi, car si l’on attendait un testament, il faudra davantage retenir ici le témoignage d’une extraordinaire vitalité intellectuelle : Lévi-Strauss nous offre quelques vastes matières à réflexion pour nous dire en somme, comme toujours, qu’il reste encore beaucoup à faire.
Dès les premières lignes, il est tout de suite clair que nous retrouvons un territoire familier. Le texte ouvre sur deux versions d’un mythe Nez-Percé traitant de grossesse et de l’arrivée de jumeaux opposés, Lynx et Coyote, une opposition qui sera ensuite traduite dans des contrastes multiples construits avec des éléments naturels, des outils de cuisine la production de nourriture, les activités de chasse, ce qui permettra d’opposer le vertical et l’horizontal, le ciel et la terre, le monde extérieur et le corps, et ainsi de suite. Comme le dit Lévi-Strauss dans son Avant-propos, le début de cet ouvrage ressemble beaucoup à la phase nommée « ouverture » lors d’une partie d’échecs : il y aura nécessairement ici un effet de répétition chez l’observateur habitué qui connaît la routine et qui attend, sachant que quelque chose s’en vient. On passe ensuite à des variations de ce qui semble être les mêmes récits chez les Klikitat, les Coeur-d’ Alêne, Sanpoil, Flathead, Snohomish, Thompson et Shuswap, avant de faire le grand saut vers l’Amérique du sud et retrouver un mythe remarquablement semblable chez les Tupinamba et, de nouveau, dans des variantes Guarayu (Bolivie) et Mbya-Guarani (Paraguay).
Assez rapidement, ces comparaisons mènent Lévi-Strauss au thème central de sa démonstration. En bilan de ces constructions mythiques diverses, il suggère en effet qu’en terre d’Amérique, les oppositions essentielles de la vie restent partout et toujours en état de déséquilibre. Toute unitgé renferme nécessairement une dualité et, entre ces deux moitiés, il n’y a jamais d’égalité véritable. Les pôles opposés qui semblent ordonner la nature tout comme la société ne forment nulle part des jumeaux vraiment identiques. Il n’y a jamais de véritable parité. C’est ainsi que fonctionne l’univers et voilà pourquoi il n’y a pas d’inertie possible dans un tel système.
C’est en ce sens que Lévi-Strauss ajoute l’argument (dont certains rapporteurs ont fait grand cas) voulant que les cultures amérindiennes aient déjà « prévu » l’existence des Européens en leur faisant une place logique, quoique vide jusqu’à leur arrivée, dans un système de pensée qui devait imaginer la possibilité du « Non-Indien » et qui se maintenait en perpétuelle transformation.
Tout cela est dit en 92 pages. Et Lévi-Strauss, qui en Avant-propos exprime son regret de ne pas être compris comme un auteur de roman policier ou de conte de fées, risque d’être encore une fois déçu. Le premier tiers du livre offre une démonstration que tout lecteur suivra avec attention ; on y trouve même quelques petits suspenses qui pourraient rappeler le genre roman policier : pourquoi la femme enceinte de la Côte Nord-ouest prononce-t-elle la sentence fatidique en disant « Si c’est un garçon je le garde ; mais si c’est une fille je la tue », alors que la mère Canela du Brésil prononce les mêmes paroles mais en inversant les sexes ? Voilà qui est fascinant, mais dès que le lecteur dépasse le premier tiers du livre, il n’y a plus vraiment d’énigme, le fil conducteur se perd, la narration tournoie et l’on comprend que l’on est entré dans le monde des considérations diverses et des digressions intéressantes.
La seconde partie (joliment nommée « Éclaircies », à la suite d’une première partie intitulée « Du côté du brouillard ») a peut-être la faiblesse de ne pas faire avancer la démonstration de la thèse principale, mais aussi la qualité de poursuivre des pistes secondaires souvent riches ou stimulantes. Cette seconde partie (pages 119 à 224) nous place devant un gigantesque casse-tête que l’auteur essaie de compléter en ajoutant ici et là quelques pièces. On y retrouve, peut-être plus nettement que nulle part ailleurs, un ethnologue amoureux de la mythologie amérindienne et plus convaincu que jamais qu’on y trouve la trace et la preuve d’une prodigieuse intelligence humaine. C’est aussi la partie de l’ouvrage que les critiques pourraient attaquer facilement en disant que les généralisations (du genre « En Amérique du sud ») sont toujours excessives et que les interprétations paraissent parfois abusives (quand, par exemple, un enfant dissimulé sous une robe et qui y fait une bosse est comparé aux excroissances formées sur une branche par les noeuds du bois). Mais c’est aussi dans ces aventures exploratoires que les admirateurs trouveront de nouvelles preuves d’un esprit analytique franchement génial : «… un bain voulu par et pour soi, malgré l’autre, est la contradictoire d’un bain voulu non par et pour soi, mais pour l’autre qui n’en veut pas » (p. 135) ; ou encore, «… la transformation saute par-dessus le contraire et retombe à pieds joints sur le contradictoire au-delà ». Il faut dire qu’il y a là matière à des années de travail.
Les intuitions sont parfois fulgurantes, les conclusions parfois prématurées, mais Lévi-Strauss confessera plus loin avoir trouvé une certaine paix : «… j’ai procédé par essais et par erreurs. Des oppositions, même réelles, n’ont pas toujours la forme que je leur ai donnée ; d’autres n’existent peut-être pas. Si l’on m’accorde que j’ai vu juste dans un nombre appréciable de cas, je m’estimerai satisfait. » (p. 250).
La dernière partie, comme il se doit, cherche à conclure sur la plupart des dossiers importants mais qui, encore ici, n’ont pas toujours de lien direct avec ce qui était annoncé comme le propos central de cet ouvrage. Lévi-Strauss montre d’abord beaucoup d’aisance à traiter de ce qu’on appelle l’acculturation et de l’influence, sur la mythologie amérindienne, des récits de contes d’origine européenne transmis par des voyageurs franco-canadiens qui avaient la bonne habitude de jaser longuement avec les Amérindiens, en Chinook, les soirs autour du feu. Ensuite, sur un tout autre sujet et en redisant sa fidélité à Montaigne, il renouvelle son choix philosophique pour l’équilibre difficile entre le scepticisme radical et la volonté de vivre, entre la satisfaction de croire que la vie a un sens alors que « la sincérité intellectuelle assure qu’il n’en est rien » (p. 287). Dans un autre chapitre, sous le titre pourtant éminemment triste du « Dernier retour du dénicheur d’oiseaux », Lévi-Strauss fait preuve d’une forme remarquable en voulant boucler une démonstration analytique débutée huit livres plus tôt. L’ouvrage se termine sur « L’idéologie bipartite des Amérindiens » qui relance une discussion avec les ethnographes de l’école de Harvard sur les rapports difficiles entre réciprocité et hiérarchie mais, comme je le disais au début, qui ne constitue pas une véritable conclusion. On sortira donc de cette lecture convaincu que le thème de la gémellité est prometteur, que la porte demeure grande ouverte et que l’on vient de recevoir ici un remarquable encouragement à poursuivre.
Il serait difficile de trouver de meilleurs mots pour conclure et inutile de les chercher : « Dans ce domaine d’un seul tenant que constitue idéalement la mythologie générale, formant un réseau trop connexe pour que des significations s’en dégagent, il arrive parfois qu’un carrefour brille d’une phosphorescence fugitive. Elle étonne, on s’arrête, on jette un regard curieux, tout s’éteint, et on passe. La mythologie des jumeaux offre un terrain propice à ce genre d’illusions. » Puis, deux pages plus loin …» «… les illusions ont leur charme, et on est pardonnable de ne pas s’y montrer insensible pourvu qu’on sache couper court. » (p. 317 et 319).
[Bernard Arcand, Département d'Anthropologie, Université Laval]