Les blattes américaines
Posté par othoharmonie le 26 mai 2012
Il y a toujours des blattes américaines dans les ruches. Tout comme les maisons des humains, les ruches sont des endroits chauds et confortables, bien approvisionnés en nourriture, et les blattes y élisent domicile si elles peuvent s’en tirer. Quand une colonie d’abeilles est active, saine et robuste, les abeilles ne tolèrent pas les blattes plus volontiers qu’une maîtresse de maison méticuleuse ne les tolère chez elle. J’ai souvent observé les abeilles en train de chasser les blattes de leur ruche, je les ai même vues porter au-dehors les paquets d’oeufs des blattes et les laisser tomber assez loin, trouvant incongrue la présence de ces objets dans une colonie bien organisée. Il y a une lutte constante entre les deux espèces.
Les abeilles se montrent vigilantes et agressives, mais les blattes sont toujours là et si le moral ou l’énergie de la ruche baisse le moins du monde, elles prennent le dessus. Ce sont des opportunistes.
Depuis quelques années, j’ai renoncé à tuer les blattes lorsque j’ouvre une ruche. Je sais qu’une bonne colonie d’abeilles est mieux capable que moi de régler ce problème. Et si la qualité de la colonie laisse à désirer, mieux vaut découvrir ce qui cloche chez elle plutôt que de tuer ses parasites.
A vrai dire, les blattes qui sortent de mon bois de chauffage ne ma gênent pas non plus. Leur système digestif et le mien diffèrent suffisamment pour que nous ne partagions pas la même niche écologique ; elles ne me font aucun mal, nous ne sommes pas en compétition, je prends donc mes distances vis-à-vis d’elles. Inutile de les harceler comme le ferait une abeille, ou de les écraser comme le ferait une bonne maîtresse de maison. Je me contente donc de m’accroupir pour les voir de plus près, les examinant avec soin. Après tout, avoir dans mon chalet un visiteur inoffensif dont la structure n’a pratiquement pas évolué depuis le carbonifère me frappe, moi qui incarne une forme expérimentale plus achevée de l’évolution, comme un événement hautement instructif. Deux cent cinquante millions d’années, ce n’est pas négligeable comme recul.
Une année à la campagne, Traduit de l’anglais (États-Unis) par Janine Hérisson,
Ed. Gallimard (coll. folio, n°2605), 1988.
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