Issu du livre : »Un zèbre au Sahara » de Chris Saunier
Depuis qu’Eve a croqué la pomme, les serpents ont mauvaise réputation.
Pour beaucoup d’entre nous, ces animaux sans bras ni jambes symbolisent encore la perfidie. On les gratifie volontiers d’une intelligence ne dépassant pas celle d’une assiette de couscous. Pourtant, ils parviennent à survivre aux pires conditions. Cette prouesse mérite quand même quelques explications…
Comme beaucoup de ses cousins, la vipère à cornes est sourde comme un pot.
Elle n’a pas plus d’ouïe qu’un fer à repasser. En revanche, elle dispose d’un odorat qui ferait baver de jalousie n’importe lequel de nos toutous.
Son autre talent est moins célèbre. Il n’a été reconnu que très tard, et tout à fait par hasard. On doit cette découverte à une équipe de jeunes sismologues japonais. Au cours d’un voyage d’études dans le désert, ils remarquèrent cette race de vipères, encore plus sauvage que les autres. Perdue au milieu des dunes, avec peu de nourriture aux alentours, la vipère à cornes ne devait sa survie qu’à un système de chasse bien particulier. Elle possédait une aptitude démesurée à ressentir les vibrations du sol. Beaucoup plus prononcée que chez les autres serpents, elle utilisait cette supériorité pour localiser ses proies, à distance. Elle pouvait ainsi déceler le pas d’un animal à plusieurs kilomètres!
En face d’une telle découverte, les étudiants nippons rentrèrent pensifs au pays du soleil levant. L’idée germa et l’année suivante, ils financèrent eux-mêmes une expédition qui retourna au Sahara. Son but : capturer des vipères à cornes pour les étudier. Dès que les premiers spécimens arrivèrent au Japon, les travaux commencèrent. Les facultés de ces bestioles pour détecter les variations sismiques allaient être efficacement utilisées. C’est ainsi que le Japon mit en place l’un des tous premiers systèmes de prévision des tremblements de terre.
Donc, si un jour vous croisez une vipère à cornes et qu’elle s’enfuit à votre approche, ne vous imaginez surtout pas que votre arrivée ait pu la surprendre.
Mine de rien, ça faisait déjà un bon quart d’heure qu’elle vous « écoutait marcher ».
Ne vous fiez pas non plus à son allure nonchalante. Derrière ses faux airs de spaghetti trop cuit, cet animal reste perpétuellement à l’écoute de son environnement.
Côté serpents, la France est plutôt bien lotie. Nos petits orvets terrorisent autant qu’un lacet de chaussure. Quant à nos grosses couleuvres, elles ne sont pas plus venimeuses que des chipolatas. En faisant du camping sauvage, l’une d’elles a même partagé illicitement mon duvet. Discrètement enroulée contre mon ventre, je ne l’ai découverte qu’au matin, en ouvrant les yeux. Je vous laisse imaginer à quel point le réveil fut mouvementé…
Seule, la rarissime couleuvre de Montpellier dispose d’un venin. C’est le reptile venimeux le plus long et le plus rapide d’Europe, mais la pauvre bête n’est pas gâtée par la nature. Avec ses crochets dissimulés tout au fond de la gueule, il lui est pratiquement impossible de mordre un humain. A moins, bien sûr, qu’il ne lui tende le doigt, mais la cervelle est alors à soigner autant que la morsure…
Ce curieux serpent, résultat probable du croisement entre un tuyau d’arrosage et une agrafeuse, reste une exception de la nature.
A la suite d une morsure de serpent, des mesures rapides doivent être prises.
Il faut commencer par nettoyer la plaie. Un bandage doit ensuite être posé sur la blessure et le blessé doit être transporté d’urgence dans la plus proche unité de soins. En cas de doute, le serpent doit être tué et apporté pour identification, ce qui déterminera l’administration d’un sérum antivenimeux spécifique. Pas facile de courir après un cobra de deux mètres qui vient de vous infliger une profonde morsure. Il connaît bien son territoire et, à la vitesse où il se débine, vous risquez une embolie. Quant à le tuer, je vous laisse le soin d’imaginer une méthode…
Au Maroc, comme dans beaucoup de pays chauds, le venin des serpents se modifie beaucoup avec l’environnement. Il n’a pas toujours la même composition qui dépend de la nourriture, de la fréquence de ses repas, et aussi de la température extérieure et du climat. Dans cette région du globe, la variation saisonnière de la toxicité des venins est très importante. Ainsi, ils deviennent plus alcalins et plus actifs si la température s’élève.
Dans les régions bordant le Sahara, il existe des circuits touristiques très connus. Ils donnent un aperçu paradisiaque du désert et présentent l’avantage d’être sans danger. On y croise aussi bien des retraités passionnés par les belles photos que des baroudeurs du dimanche en mal d’exotisme. En milieu d’après-midi, les convois d’autobus, ou de Land roover, déposent les grappes de touristes au pied des immenses dunes. En attendant de pouvoir photographier le coucher du soleil, chacun s’affaire pour monter sa tente.
Les bêtes qui vivent dans les parages ont pris l’habitude d’attendre sagement le départ des voyageurs avant d’aller fouiller les restes de leurs repas. Ces animaux trouvent régulièrement de la nourriture et ne sont donc absolument pas agressifs. Comme le prétend ce vieux proverbe africain : « la nourriture calme ! ». Ici, les bestioles sont plutôt craintives et s’enfuient à l’approche de l’homme.
Si l’on pénètre dans le désert en utilisant les pistes, on se sent peut être plus aventurier, mais le contact avec les animaux reste le même. La véritable aventure commence là où personne ne va jamais. Pour cela, il faut quitter définitivement les pistes et s’enfoncer profondément dans le désert. Alors, la nourriture devient rare, voire inexistante. Le comportement des animaux change du tout au tout. Pour les bestioles du quartier, le moindre objet qui traverse le paysage représente peut-être le dernier repas avant longtemps. Alors, l’animal affamé ne fait plus la différence entre une souris et une voiture. Il s’attaque à tout ce qui n’est pas en sable. La survie dans un désert est à ce prix. Alors qu’ailleurs un autoradio resté allumé ferait fuir les animaux, ici, il va au contraire attirer bon nombre de bestioles. S’il y a dans les parages des écailles, des poils ou des dents, elles ne tarderont pas à rappliquer…
Un matin, j’avais quelques vérifications à effectuer avant de démarrer. A moitié réveillé, j’ai ouvert la portière et mis les pieds dans le sable. Aussitôt, un serpent est sorti de sous la voiture. C’est le genre de surprise qui vous déclenche un réveil explosif. Je suis passé instantanément de l’état nébuleux à celui de ressort. Je me suis retrouvé debout sur le capot, sans me souvenir comment j’y étais monté. Les pupilles bien collées au fond des yeux, j’ai ensuite passé le reste de la journée à regarder constamment derrière moi.
Donc, le matin, avant de descendre de sa voiture mieux vaut regarder où on pose le pied. L’ombre du véhicule a certainement attiré bon nombre de petits animaux. Sous la voiture, c’est peut-être devenu un zoo. Si le premier coup de démarreur fait détaler quelques fennecs, c’est plutôt bon signe. Leur caractère de prédateur est la garantie qu’aucune autre bestiole n’a pu s’introduire sous le véhicule. Sinon, il peut y avoir des serpents, ou des scorpions noirs. Leur piqûre est tout simplement mortelle. Alors, il est conseillé de démarrer et de rouler un peu. Les vibrations de la voiture permettent aussi de se débarrasser des bestioles nocturnes qui auraient pu se faufiler sur les pièces mécaniques. Je me souviens d’un autre réveil dans la voiture, les vitres couvertes d’araignées. J’ai découvert plus loin, la carcasse d’un animal qui leur servait de nid.
Voir d’autres chapitres du livre ici : http://perso.magic.fr/unzebreausahara/lire_un_chapitre.htm