Le Tigre ch.7
Posté par othoharmonie le 17 février 2012
Par Fulbert Dumonteil
C’est plaisir de voir ce grand buveur de sang ronronner comme un chat en léchant ses petits, faire le gros dos, étaler ses crocs indulgents dans un bâillement bourgeois, se rouler dans l’herbe avec ses enfants, leur donner de petites tapes sur la joue avec sa large main gantée de velours, enlacer sa petite famille avec sa longue queue chargée de bracelets, comme on passe le bras autour du cou d’un ami.
Et, si quelque fauve des steppes vient à passer, s’arrête surpris, au lieu de bondir et de le dévorer, le papa Tigre, le regardant d’un oeil calme, semble lui dire : « Pardon, ne seriez-vous pas aussi père de famille ? »
Mais c’est surtout la mère qui est chargée de l’éducation des enfants. C’est elle qui leur apprend la chasse, la pêche et la guerre.
Tapie sur les bords d’un marais, elle prend le reptile au passage et l’oiseau au vol.
- Voilà, mes enfants, comment on chasse.
Blottie, comme une grande chatte, le long des torrents et des rivières, elle étend doucement la patte et fait sauter sur la rive le poisson qui sera le plat du jour.
- Voilà comment on pêche, mes enfants.
Cachée dans les hautes herbes, tandis que ses petits font le guet, elle bondit sur le cheval sauvage et l’égorge. Ne faut-il pas que tout le monde vive ?
- Voilà comment on tue, mes fils.
Mise en face du chasseur, elle a brisé trois lances et broyé une massue ; une balle l’a frappée au coeur ; elle tombe enfin, se traîne, se débat, se meurt ; et son dernier rugissement, mêlé de fureur et d’amour, semble dire aux siens :
- Voilà comment un Tigre doit mourir !
Si, au contraire, un chasseur lui a ravi ses petits et les emporte au galop de son cheval, elle les suit durant trois lieues en bondissant à travers les torrents et les buissons ; puis, elle tombe épuisée de fatigue et de rage, et dans un cri désespéré, rugissement suprême de tristesse et d’amour, elle a l’air de dire :
- Voyez, mes enfants, comme je vous aimais !
Alors, étendue sur l’herbe, qu’elle mord avec frénésie, elle semble morte au monde des forêts.
Qu’un beau Tigre s’avance en faisant miroiter les ors de son manteau royal, elle ne le voit pas ; qu’il fasse entendre un rugissement adouci et provocateur, elle ne l’entend pas.
Ce n’est pas un époux qu’elle cherche, ce sont ses enfants qu’elle demande ; ce sont ses petits qu’elle appelle, qu’elle pleure, et elle ne veut pas être consolée. (FIN)
DUMONTEIL, Fulbert (1830-1912) : Le tigre (1882).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (07.II.2009)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
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Diffusion libre et gratuite (freeware)
Texte établi sur un exemplaire (BmLx : nc) de l’ouvrage Les Animaux chez eux illustré par Auguste Lançon (1836-1887) paru chez L. Baschet à Paris en 1882.
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