Le Tigre ch.3
Posté par othoharmonie le 17 février 2012
Par Fulbert Dumonteil
Sous sa griffe, un râteau, sous sa patte, une massue, sa victime, daim, loup, sanglier, homme ou cheval, tombe la nuque brisée, le ventre ouvert…
Vingt dogues ne sauraient le faire reculer. Celui que sa patte atteint n’est plus qu’un invalide ou un mort. Acculé contre un arbre ou un rocher, la gueule sanglante et le poil hérissé, la face ridée, l’oeil en feu, il agite sa patte formidable comme s’il jonglait ! Ce qu’il touche tombe, et ce qui tombe ne se relève plus. Il n’y a pas d’animal à qui la nature ait plus largement dispensé les qualités physiques, la grâce, la vigueur, l’agilité. D’un bond, il saute dans un enclos, par-dessus de hautes palissades, et d’un bond il en sort, chargé d’un buffle qu’il emporte comme un chat ferait d’une souris. Il dort toute la journée, se couchant là où l’aurore l’a surpris, se réveillant le soir, dans les hautes herbes impénétrables où il a passé le jour. Ce qu’il aime, c’est la nuit, où ses grands yeux errants étincellent d’un feu sauvage, où sa belle robe mouchetée s’allonge, se replie, s’étale, rampe, ondule comme un tapis vivant.
Antithèse curieuse, le Bengale a donné son nom à la plus délicate des fleurs, comme au plus terrible des carnassiers.
Si l’on excepte l’Éléphant, cette forteresse, aucun animal ne peut résister au Tigre. Il a pourtant un adversaire terrible et souvent heureux dans le Buffle sauvage, son ennemi mortel.
A la vue du Tigre, il s’avance avec une majesté sauvage, défiant son adversaire en faisant voler la poussière sous son sabot furieux.
Au mugissement de l’un, répond le mugissement de l’autre, et tandis que le Tigre s’aplatit comme un Chat prêt à bondir, le Buffle se précipite sur son adversaire, opposant aux griffes du fauve ses cornes, deux épieux, et son front, un maillet. Un nuage de poussière voile les combattants ; c’est à peine si l’on aperçoit deux masses qui roulent, des chairs qui pendent, du sang qui coule. Enfin la poussière tombe et le silence règne dans les jungles. Quel est le vainqueur du Tigre ou du Buffle ? Tous les deux sont morts. (à suivre)
DUMONTEIL, Fulbert (1830-1912) : Le tigre (1882).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (07.II.2009)
Texte relu par : A. Guézou
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Diffusion libre et gratuite (freeware)
Texte établi sur un exemplaire (BmLx : nc) de l’ouvrage Les Animaux chez eux illustré par Auguste Lançon (1836-1887) paru chez L. Baschet à Paris en 1882.
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