A Sens, la vieille métropole ecclésiastique de la France, la cérémonie de l’âne était jointe à la Fête des fous, qui se célébrait le jour de la Circoncision. Elle avait lieu, non à la messe, mais aux vêpres. Avant de commencer cet office, le clergé se rendait processionnellement à la porte de l’église, où deux chantres entonnaient un chant annonçant que la journée était toute dédiée à la joie :
Lux hodie, lux laetitiae…. Laeta volunt quicumque colunt asinaria festa.
Deux chanoines, délégués à cet effet, allaient auprès de l’âne, pour le conduire à la table du préchantre, Conductus ad tabulam. Alors commençaient, avec recommandation de chanter in falso, des vêpres d’une longueur insolite, bizarrement composées de fragments de tout ce qui se chantait dans l’année : on faisait alterner les morceaux les plus tristes avec les morceaux les plus gais et on y joignait la prose de l’âne. Dans l’intervalle des leçons, on faisait manger et boire l’animal; enfin, on le menait dans la nef, où tout le peuple, mêlé au clergé, dansait autour de lui, en imitant son chant. La danse finie, l’âne était ramené dans le chœur.
La manière dont la fête s’achevait est clairement indiquée par ces rubriques de la liturgie : Conductus ad prandium, Conductus ad poculum, Conductus ad ludos, accompagnées d’invocations à Jésus et à Marie, pour faire bonne chère et trouver de joyeux propos. Tandis que les plus graves se tenaient ad prandium et ad poculum, les autres, conduits par le préchantre et précédés d’une énorme lanterne, couraient ad ludos. Dans la place devant l’église, était dressé un grand théâtre, sur lequel on exécutait des farces singulièrement grasses; puis on dansait, en se livrant aux facéties les plus burlesques. Quand ces joyeusetés étaient terminées, on jetait quelques seaux d’eau sur la tête du préchantre et on rentrait pour les matines.
La prose de l’âne est un document curieux pour le contenu et pour la forme. On l’a publiée plusieurs fois et avec des variantes qui semblent montrer qu’elle a servi pendant longtemps et en divers lieux. Elle se compose d’une poésie latine en vers léonins, formant des strophes suivies d’un refrain français. Nous la reproduisons telle qu’elle se chantait à Sens au XIIIe siècle, d’après un manuscrit de Pierre de Corbeil.
L’officiant débitait les strophes :
Orientis partibus, – Adventavit asinus – Pulcher et fortissimus, – Sarcinis aptissimus.
Le choeur répondait :
Hez, sire asne (âne), hez!
(A ce moment, la foule devait probablement inciter l’âne à braire).
Hic in collibus Sichen, - Enutritus sub Ruben, – Transiit per Jordanem, – Saliit in Bethleem. – Hez, sire âne, hez! – Saltu vincit hinnulos, – Damas et capreolos, – Super dromaderios – Velox Madianos.
Hez, sire âne, hez ! Aurum de Arabia – Thus et myrrham de Saba, – Tulit in ecclesia – Virtus asinaria.
Hez, sire âne, hez ! – Dum trahit vehicula, Multa cum sarcinula, Illius mandibula Dura terit pabula
Hez, sire âne, hez ! Cum aristis hordeum – Comedit et carduum, Triticum a palea Segregat in area. Hez, sire âne, hez !
Amen dicas, asine Jam satur ex gramine Amen, amen, itera, Aspernare vetera Hez, sire âne, hez !
Du Gange ajoute deux autres strophes, l’une après la première et l’autre après la seconde :
Lentus erat pedibus, Nisi foret baculus Et eum in clunibus Pungeret. Ecce magnis auribus Subjugalis filius, Asinus egregius, Asinorum dominus.
ll donne comme refrain courant :
Hez, sire âne, car chantez Belle bouche rechignez. On aura du foin assez Et de l’avoine à planté.
Et comme refrain de la dernière strophe :
Hez va! hez va! hez va hez! Bialx sire âne, car allez, Belle bouche, car chantez.
Ces deux refrains sont d’origine picarde. (E. H. Vollet).