L’âne par Victor Hugo 2
Posté par othoharmonie le 24 décembre 2011
Le poète a eu tout simplement l’idée de donner la parole à un héros du jour, et il lui a donné cette parole fière, superbe, inspirée, prophétique, dont il a le secret, mais qui, depuis la Bible, n’avait jamais été donnée à une bête.
Est-ce calomnier ce temps-ci que de prétendre être assourdi par des braîments, dans les journaux, dans les clubs, dans les banquets, dans les théâtres, dans des endroits en apparence plus solennels et d’ordinaire plus silencieux, quelquefois dans des conférences ?
N’entendons-nous pas ruer des ânes sous leurs reliques ? Ne voyons-nous pas des ânes présomptueux se jeter dans le gué avec des éponges ? Ne voyons-nous pas des ânes braillards se dévorer réciproquement les oreilles, dans leurs conciliabules organisés pour choisir le bât dont ils veulent être bâtés ? N’assistons-nous pas au charivari d’ânes blancs, d’ânes noirs et d’ânes rouges, qui mettraient en fuite la Liberté, par leur façon de l’interpeller, si la Liberté n’était pas sourde aux bêtes, et si elle n’écoutait pas que des hommes, absolument hommes ?
Victor Hugo a donc écrit un très beau livre d’actualité.
Au surplus, un écrivain de génie ne justifie pas sa gloire, uniquement par l’élan de son inspiration, par le charme qu’il lui donne. Il n’acquiert des droits incontestables à la postérité, que s’il est l’écho exact, permanent, autant que mélodieux, des douleurs, des aspirations, des hymnes ou des cris de détresse de son temps.
Le poète qui a donné une forme sublime aux mélancolies de la première partie du siècle ; qui, pendant son noble exil, a infligé la marque des Châtiments au crime couronné ; qui a pleuré des larmes sanglantes sur l’Année terrible ; qui, à travers ses deuils intimes, a toujours porté plus haut dans son coeur les grands deuils de la patrie ; celui-là reste dans son rôle, dans son devoir, et, je le dis sérieusement, dans son action providentielle, quand, au faîte de sa vie, ébloui de cette autre aurore d’au delà de la vie qui monte vers lui, jetant un regard sur ceux qu’il dépasse et qui ne peuvent le suivre, il les exhorte avec une raillerie douce, assez mordante pour les stimuler, assez paternelle pour ne pas les décourager, et du haut de sa sérénité, ayant le secret de l’amour infini qui est l’épanouissement de tout effort humain, il met des bonnets d’âne à notre fausse science, à notre fausse sagesse, à notre fausse piété, à nos puériles ambitions.
Issu de la conférence faite à Courbevoie, le 7 novembre 1880 au profit de la bibliothèque populaire
par Louis Ulbach – sous la présidence de M. Laurent Pichat, sénateur
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