Le Chien 6
Posté par othoharmonie le 20 novembre 2011
Par G. de Cherville
Lorsque Descartes eut promulgué son arrêt sur l’automatisme des bêtes, un de ses adversaires, le Père Bougeant, entreprit de le réfuter en démontrant dans un gros livre que ces bêtes étaient des diables, ce qui indiquait qu’il ne trouvait pas que ce fût l’esprit qui leur manquât. Depuis que cette question est sortie du domaine de la métaphysique pour entrer dans celui des études expérimentales, la doctrine cartésienne a perdu de son autorité. G. Leroy, Réaumur, Cuvier, l’avaient tour à tour battue en brèche, et l’admirable travail synthétique de Flourens lui a porté un coup décisif.
En dépit du proverbe « on n’est trahi que par les siens, » les contempteurs de l’intelligence des animaux ne se rencontrent jamais parmi les gens qui vivant au milieu d’eux les étudient à chaque heure de la journée et dans chaque acte de leur existence.
Avancez que le Chien est une simple machine, devant ce que vous voudrez de veneurs, de chasseurs, de bergers, de bouviers, etc., il ne s’en trouvera pas un seul qui ne hausse les épaules, et les plus sincères vous exprimeront immédiatement la part qu’ils prennent à l’accident qui vous arrive ! La négation de l’intelligence animale appartient généralement à ceux qui ont été le moins à même de l’apprécier. A défaut des métaphysiciens, braves philosophes, planant trop haut pour bien juger de ce qui se passe si bas, vous ne retrouvez ces conclusions que dans cette catégorie de savants qui physiologisent le scalpel à la main et dont les relations avec le Chien commencent et finissent dans le laboratoire où le sujet de leurs études a été déposé muselé et ficelé comme un mouton d’abattoir.
A côté de la doctrine qui entend réduire le Chien à ses seuls instincts, il est une école qui, péchant par l’excès contraire, arrive à le doter si libéralement sous ce rapport que nous serions réduits à lui porter envie. Ce ne sont pas seulement par quelques fables romanesques plus ou moins ingénieuses que se traduisent ces tendances, l’anecdote, le fait divers ont versé également sur cette pente du merveilleux et, en raison de l’immense publicité qu’elles trouvent dans la presse, des invraisemblances s’accréditent. Les récits fantaisistes de quelques écrivains en quête de copie ont distancé de fort loin ce Chien étonnant, lequel, ayant à rapporter le charbon incandescent que lui avait jeté son maître, commença par l’éteindre avec l’arrosoir que lui fournissait la nature !
Incontestablement doué d’une certaine dose d’intelligence, le Chien raisonne, mais seulement sur des idées d’un ordre particulier et selon que ses sens les lui présentent. Il compare, mais par rapport à quelque circonstance tangible attachée aux objets eux-mêmes ; il est incapable de former une abstraction, de déduire un raisonnement complexe de ses perceptions comme de ses sensations. (A SUIVRE…)
CHERVILLE, Gaspard de Pekow marquis de (1821-1898) : Le Chien (1882).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (23.VII.2002)
Texte relu par : A. Guézou
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Texte établi sur un exemplaire (BmLx : nc) de l’ouvrage Les Animaux chez eux illustré par Auguste Lançon (1836-1887) paru chez L. Baschet à Paris en 1882.
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