Eléphant 3
Posté par othoharmonie le 21 novembre 2011
Par Louis Figuier
Un Éléphant était dans l’usage d’allonger sa trompe aux fenêtres des maisons d’Achem (île de Sumatra), pour demander des fruits ou des racines, et les habitants se faisaient un plaisir de lui en donner. Un matin, il présente l’extrémité de sa trompe aux fenêtres d’un tailleur. Mais celui-ci, au lieu de donner à l’Éléphant ce qu’il désire, pique la trompe avec son aiguille. L’animal parut supporter cette insulte avec indifférence. Il continua sa route, et se rendit tranquillement à la rivière, où le cornac le conduisait chaque matin, pour le laver. Seulement, il remua le limon avec un de ses pieds de devant, et aspira dans sa trompe une quantité de cette eau fangeuse. Lorsqu’il repassa dans la rue où se trouvait la boutique du tailleur, il s’avança vers la fenêtre et y lança une énorme masse d’eau, avec une telle force que le tailleur et ses ouvriers furent renversés et frappés de terreur.
On lit dans la Décade philosophique qu’un Éléphant aspergea de la même façon un factionnaire qui voulait empêcher le public de lui donner à manger. Bien plus, la femelle du même Éléphant, partageant la colère du mâle, s’empara du fusil du soldat, le fit tourner dans sa trompe, le brisa sous ses pieds, et ne le rendit qu’après l’avoir tordu comme un tire-bouchon.
L’Éléphant a, beaucoup plus que certains hommes, le sentiment de sa dignité personnelle. Il a le respect de soi-même, sentiment qui est étranger à bien des membres de l’espèce humaine.
Le maître d’une ancienne ménagerie d’Angleterre, nommé Pidcock, avait depuis quelques années l’habitude d’offrir tous les soirs à son Éléphant un verre de liqueur spiritueuse. L’animal paraissait tenir particulièrement à cette faveur ; car il buvait la goutte avec une certaine sensualité. Pidcock versait toujours à l’Éléphant le premier verre, et s’administrait le second. Un soir, il changea d’idée et apostropha l’animal en lui disant : « Tu as été assez longtemps servi le premier, c’est maintenant à mon tour de boire avant toi ! » Le compère Éléphant prit mal la chose ; il refusa d’être servi le second, et ne fit plus raison à son maître dans ses libations quotidiennes. Il faut que chacun tienne son rang !
Les Éléphants qui sont exhibés, en divers pays, dans des représentations théâtrales, donnent des preuves d’une intelligence très variée. Ils se mettent en mouvement, sur les planches, avec une singulière légèreté. Sur une scène encombrée d’acteurs, ils évitent tout choc contraire au bon ordre et à la mise en scène. Ils avancent en cadence, et d’un pas mesuré, qui s’accorde avec les sons de la musique. Ils distinguent un acteur d’un autre. S’il s’agit, par exemple, de placer la couronne sur la tête d’un roi légitime, ils n’iront pas l’égarer sur le front d’un usurpateur. On a vu à Paris, en 1867, un Éléphant, qui donnait des représentations au Cirque du boulevard du Prince Eugène, se livrer à des exercices de gymnastique et à des tours d’adresse qui inspiraient une haute idée de sa docilité et de son intelligence. L’Éléphant ascensionniste allait jusqu’à faire tenir sa pesante masse sur une corde raide. C’est un tour d’adresse que ne feraient pas beaucoup d’hommes. (A SUIVRE…)
FIGUIER, Louis (1819-1894) : L’Éléphant (1882).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (05.II.2009) Texte relu par : A. Guézou
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Diffusion libre et gratuite (freeware)
Texte établi sur un exemplaire (BmLx : nc) de l’ouvrage Les Animaux chez eux illustré par Auguste Lançon (1836-1887) paru chez L. Baschet à Paris en 1882.
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