Le Chien 17

Posté par othoharmonie le 20 novembre 2011

 

Par G. de Cherville 

 

Le Chien 17 dans CHIEN 8569800-petit-chien-de-race-le-bruxellois-griffonJ’ai eu un grand griffon qui, gâté comme nous les gâtons, était assez sujet à s’emporter. Pour le mettre en garde contre la véhémence de ses passions, j’avais pris l’habitude, avant d’entrer en chasse, de lui administrer une petite raclée de précaution. C’était une manière de lui dire comme le Marseillais : « Juge un peu si tu me fais quelque chose ! » Un jour, au moment de le saisir par la peau du col, je m’aperçus que mon Chien boitait ; mes dispositions flagellantes firent place à une certaine inquiétude. L’examen attentif de la patte et du pied ne me fit cependant rien découvrir, et je me mis en campagne en me disant que le membre malade s’échaufferait probablement par la marche. En effet, il s’échauffa si bien qu’au bout de dix minutes le Chien avait recouvré tous ses aplombs. Mais le lendemain, au moment critique, la claudication reparut, et, depuis lors, je n’avais qu’à toucher mon fouet pour que mon griffon ne marchât plus que sur trois pattes. Cette boiterie préventive, opposée à une correction préventive aussi, est un trait de génie qui ne peut avoir été inspirée que par une profonde intimité avec l’homme ou avec le diable. 

 

Cependant, il faut le reconnaître, à quelque développement intellectuel que puisse arriver le braque, l’épagneul, le griffon, lorsque leur maître les admet à une collaboration continue et intime, ils restent au-dessous de l’humble caniche, le compagnon de l’aveugle, l’ami de l’ouvrier. C’est dans cette espèce qu’il faut chercher les académiciens de la corporation. 

 

Devenir d’une honnête force aux dominos quand on est Chien est relativement bien plus merveilleux que la compilation d’un dictionnaire par une collection de savants. Pourtant, tout en témoignant de ma surprise devant la brillante éducation d’un Munito, il est d’exciter ma sympathie comme son camarade, le guide de l’aveugle, qui, pendant des journées entières, tend aux passants la sébile légendaire ; très au courant des ficelles du métier, sachant demander à être déchargé lorsque le gros tas des sols est devenu tel que la commisération des passants pourrait devenir plus tiède ; le soir venu, reconduisant son maître avec des soins presque filiaux, réglant son pas sur le sien, s’arrêtant précisément lorsqu’il le sent arrivé devant une marche à franchir, toujours attentif, prévenant, ne succombant jamais aux séductions des épaves du tas d’ordure, témoignant d’une telle sollicitude qu’il doit certainement avoir conscience de la terrible infirmité à laquelle il remédie ; devenant commissionnaire au logis, s’acquittant de tous les messages qu’on lui confie avec une étonnante ponctualité et, ce qui est plus rare chez les serviteurs d’aujourd’hui, ne faisant jamais danser l’anse du panier. C’est véritablement du caniche que l’on peut dire qu’il ne lui manque que la parole. 

 

1894731-puppy-debout-dans-l-39-herbe-race--griffon-bruxellois-sept-mois dans CHIENEncore en a-t-on vu qui en avaient acquis le privilège. On a exhibé à Berlin un Chien de cette race qui prononçait une soixantaine de mots. Le maître de ces Chiens, dit la Bibliothèque germanique qui nous fournit ces détails, s’asseyait à terre et prenait l’animal entre ses jambes ; d’une de ses mains il lui tenait la mâchoire supérieure, l’autre se fixait sur celle d’en bas ; le Chien alors commençait à gronder et l’homme soulevait, pressait, écartait les mâchoires de telle façon que ce grondement se modulait en mots parfaitement distincts, mais ne dépassant jamais quatre syllabes. Elisabeth était de tous ces mots celui qu’il prononçait le mieux, puis laquais, salade, thé, café, chocolat, arrivaient également fort nettement à l’oreille. 

 

La gloire du tour de force revenait comme on le voit au bipède, il jouait du Chien comme un autre jouerait de l’accordéon. 

 

Mais il nous paraît probable que, le branle étant donné, nous n’en resterons pas là ; il faut s’attendre à voir surgir un de ces jours le Chien orateur. Pourvu qu’il ne s’avise pas, lui aussi, de nous débiter un speech politique.  (FIN). 

 

 

CHERVILLE, Gaspard de Pekow marquis de (1821-1898) : Le Chien (1882). 



Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (23.VII.2002)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Mél : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] 100346.471@compuserve.com

http://www.bmlisieux.com/ 



Diffusion libre et gratuite (freeware) 



Texte établi sur un exemplaire (BmLx : nc) de l’ouvrage Les Animaux chez eux illustré par Auguste Lançon (1836-1887) paru chez L. Baschet à Paris en 1882. 



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