Le Chien 14
Posté par othoharmonie le 20 novembre 2011
Par G. de Cherville
De tous les animaux domestiques, le Chien est celui qui oublie le plus vite et pardonne le plus aisément les mauvais traitements dont il a été l’objet ; le terre-neuve fait exception à cette règle générale, non seulement il connaît la rancune, mais chez lui elle est singulièrement vivace.
Un palefrenier avait chassé, avec quelques coups de fourche, un Terre-Neuve qu’il avait trouvé couché sur le foin de ses chevaux. Deux mois après, un jour qu’il était accroupi pour botteler de la paille, ce terre-neuve, que vingt fois il avait caressé depuis, s’élança sur lui, le renversa et lui eût fait un mauvais parti si on ne fût pas accouru à son aide. Si les étrangers, les passants, les visiteurs sont autorisés à se méfier des boule-dogues, les Terre-Neuve, moins intelligents, moins dociles, sont infiniment plus redoutables pour leurs maîtres.
Nos confrères, en particulier, feront acte de sagesse en ne choisissant pas leurs amis intimes dans cette race ; je dois les prévenir qu’elle manifeste pour la chair des gens de lettres une prédilection aussi désobligeante que flatteuse. C’est un Terre-Neuve et un Terre-Neuve qu’il avait rendu presque célèbre qui faillit dévorer Alphonse Karr ; la main si loyale, à l’étreinte si cordiale, qui a écrit les Mousquetaires et Monte-Christo, fut un jour horriblement déchiquetée par un métis de cette espèce ; Alexandre Dumas porta le bras en écharpe pendant plus de trois mois. Un imprimeur de Bruxelles, M. Bienez, lisait le journal assis dans son jardin ; la feuille lui échappant tomba sur son Chien qui sommeillait à ses pieds ; le Terre-Neuve, réveillé en sursaut, s’élança sur son maître, et, d’un coup de dent, lui arracha complètement l’œil gauche. Avouez que c’est le cas ou jamais de répéter avec le fabuliste : mieux vaudrait un sage ennemi.
Nous avons dit que le lévrier devait avoir été le premier Chien que l’homme ait utilisé pour la chasse. Son seul aspect indique le but pour lequel il avait été construit. Jamais attributions ne furent plus éloquemment traduites par l’extérieur. La tête fine, d’une légèreté remarquable, ne charge pas l’avant-main, remarquable à la fois par la force et l’épaisseur des muscles du cou qui jouent un rôle si important dans la projection, et par l’ampleur et la profondeur de la poitrine. Chez lui, comme chez tous les animaux rapides, les membres postérieurs sont remarquablement plus développés que les antérieurs, les pattes sont longues sans être grêles, tendineuses et sèches ; les os d’un grain très serré et d’une densité extraordinaire. L’abdomen est fortement retroussé, la queue longue, mince et décharnée. Il a peu de nez, mais son ouïe est fine et sa vue perçante. (A SUIVRE…)
CHERVILLE, Gaspard de Pekow marquis de (1821-1898) : Le Chien (1882).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (23.VII.2002)
Texte relu par : A. Guézou
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Diffusion libre et gratuite (freeware)
Texte établi sur un exemplaire (BmLx : nc) de l’ouvrage Les Animaux chez eux illustré par Auguste Lançon (1836-1887) paru chez L. Baschet à Paris en 1882.
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