L’Ours 9

Posté par othoharmonie le 18 novembre 2011

Par Jules Vallès

L'Ours 9  dans OURS 200px-IvoireJeuxCirqueConstantinopleMus%C3%A9eCluny2On raconte à Saint-Claude l’histoire d’un Ours qui, pendant des années, est venu, dans la saison mauvaise, gratter avec ses pattes à l’huis d’une cabane qui s’ouvrait et le gardait jusqu’au jour, où il reprenait le chemin de la montagne, silencieux et tranquille, sans dire au revoir. Mais on savait qu’il reviendrait, les enfants l’attendaient. Une année il ne revint pas. C’est qu’il était mort.

J’ai moi-même, en Angleterre, mangé la soupe chez des montreurs d’Ours, qui avaient démuselé leurs bêtes pour leur donner leur part du maigre repas qu’elles avaient gagné en faisant la culbute et en valsant sur les planches de quelque café-concert, ou dans la fange de quelque faubourg de Londres. Il était impossible d’en avoir peur : on se sentait même pris d’une pitié naïve pour ces cabotins à quatre pattes, qui ont aussi leur Roman comique, plein de soirées où le dîner se fait attendre, et où le maître, déguenillé et grelottant, dort contre son Ours, dans le creux d’un chemin, sous la lune. Il a fallu d’abord donner son souper au velu, et voilà pourquoi l’homme est si hâve et parait si las. Il ne lui est resté qu’une croûte après que l’Ours a eu fini ; mais c’est toujours du pain bien noir, celui dont vivent les pauvres bêtes qui dansent ou luttent dans les foires !

Il n’y a plus beaucoup de luttes entre hommes et Ours. Jadis, il ne se passait pas une fête de paroisse où l’on ne vît de ces combats qui tenaient les enfants enchaînés au spectacle tout comme la bête à son lien de fer, jusqu’à ce que les lutteurs roulassent sur la poussière ; c’était souvent la terre détrempée et sale ; l’athlète et l’Ours avalaient de la boue pour avoir le droit, au bout de la journée, de casser une croûte.

250px-Ursus_maritimus_Steve_Amstrup dans OURSParfois, quand la misère était trop grande, le montreur demandait à l’animal un sacrifice : il fallait qu’il se laissât mordre et labourer de coups de dents par des chiens qu’on jetait sur lui !

Heureusement le paletot de l’Ours est épais, si épais que, serait-il décousu de tous côtés, il faudrait mettre des lunettes pour voir les déchirures, et on a toujours un peu envie de rire devant un Ours, même s’il a le derrière tout mordu, même s’il a des balles dans la peau. Il a sans cesse l’air de digérer ou de rigoler. Il est condamné, de par sa conformation, à des mouvements de repu qui flâne ou s’endort ; la place rouge marquée par une blessure dans le gros de la toison ferait plutôt l’effet d’une petite faveur rose comme on peut en mettre à la queue d’un chien savant : la pesanteur de son derrière, le mauvais équilibre de son corps, le trop court de ses pattes, lui donnent, jusque dans l’agonie, la mine d’un magot qui se balance, et, avec son remuement de tête éternel, on dirait qu’il crache une arête, alors qu’il serait en train de vomir sa vie. Il est comme les hommes gras qui demandent des secours dans les mairies. On leur rit au nez : on ne peut pas croire que la faim loge dans cette bedaine. L’Ours est victime de la même fatalité : Ananké ! Puis cette absence de queue ! On ne sait jamais ce qu’il pense ! (A SUIVRE…) 

 

VALLÈS, Jules (1832-1885) : L’Ours (1882). 



Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (04.II.2009) Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Mél : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] 100346.471@compuserve.com

http://www.bmlisieux.com/ 



Diffusion libre et gratuite (freeware) 



Texte établi sur un exemplaire (BmLx : nc) de l’ouvrage Les Animaux chez eux illustré par Auguste Lançon (1836-1887) paru chez L. Baschet à Paris en 1882

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