L’Ours 7
Posté par othoharmonie le 18 novembre 2011
Par Jules Vallès
« Il y a peu d’hommes de notre génération qui ne se rappellent l’effet que produisirent les premières Impressions de voyage, quand on y lut l’article intitulé : le Bifteck d’Ours. Ce fut un cri universel contre le hardi narrateur qui osait raconter qu’il y avait des endroits de l’Europe civilisée où l’on mangeait de l’Ours.
» Il eût été plus simple d’aller chez Chevet et de lui demander s’il y avait des jambons d’Ours.
» Il eût demandé sans étonnement aucun : « Est-ce un gigot du Canada ; est-ce un gigot de Transylvanie, que vous désirez ? » Et il eût donné celui des deux gigots qu’on lui eût demandé.
» J’aurais pu à cette époque, donner aux lecteurs le conseil que je leur donne aujourd’hui, mais je m’en gardai bien ; il se faisait du bruit autour du livre, et c’était, à cette époque où j’entrais dans la carrière littéraire, tout ce que je demandais.
» Mais, à mon grand étonnement, celui qui eût dû être le plus satisfait de ce bruit, l’aubergiste de Martigny, en fut furieux ; il m’écrivit pour me faire des reproches, et il écrivit aux journaux afin qu’ils eussent à déclarer en son nom qu’il n’avait jamais servi d’Ours à ses voyageurs ; mais sa fureur alla toujours augmentant, chaque voyageur qui arrivait chez lui, lui demandait pour première question :
» – Avez-vous de l’Ours ?
» Si l’imbécile eût eu l’idée de répondre oui, et de faire manger de l’âne, du cheval ou du mulet au lieu d’Ours, il eût fait sa fortune. »
Dumas, après cet aveu, donne la recette pour la cuisson de l’Ours.
« La chair de l’Ours est mangée aujourd’hui par tous les peuples de l’Europe. Dès l’antiquité on regardait les pieds de devant comme la partie la plus délicate de l’animal, les Chinois les estiment beaucoup, et en Allemagne où la chair de l’Ourson est très estimée, les pieds de devant font les délices des gens riches.
» Voici, d’après Urbain Dubois, cuisinier en Prusse, comment se servent les pieds à Moscou, à Saint-Pétersbourg et dans toute la Russie.
» Les pattes s’y vendent tout écorchées ; on commence par les laver, les saler, les déposer dans une terrine, les couvrir avec une marinade cuite au vinaigre, les faire macérer pendant deux ou trois jours ; ensuite il faut foncer une casserole avec des débris de lard et de jambon ainsi que des légumes émincés ; on range alors les pattes d’Ours sur les légumes ; on les mouille à couvert avec une marinade et du bouillon ; on les couvre avec des bardes de lard, on les fait cuire sept à huit heures à feu très doux en allongeant le mouillement à mesure qu’il réduit ; quand les pattes sont cuites on les laisse refroidir dans leur cuisson ; on les égoutte, on les éponge, on les saupoudre de cayenne, on les roule dans du saindoux fondu, on les panne et on les fait griller une demi-heure à feu très doux, puis on les dresse sur un plat au fond duquel on a versé une sauce piquante réduite et finie avec deux cuillerées de gelée de groseille. »
Avis aux amateurs ! (A SUIVRE….)
VALLÈS, Jules (1832-1885) : L’Ours (1882).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (04.II.2009) Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Mél : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] 100346.471@compuserve.com
http://www.bmlisieux.com/
Diffusion libre et gratuite (freeware)
Texte établi sur un exemplaire (BmLx : nc) de l’ouvrage Les Animaux chez eux illustré par Auguste Lançon (1836-1887) paru chez L. Baschet à Paris en 1882
Publié dans OURS | Pas de Commentaire »