La baleine et son âme
Posté par othoharmonie le 25 octobre 2011
Conte.
Un corbeau stupide et arrogant volait jadis en direction de la mer, loin, très loin. Il volait, volait, volait… Quand il fut fatigué, il commença à guetter la terre, mais elle avait disparu depuis bien longtemps. Finalement, il fut tellement épuisé qu’il put tout juste se maintenir en planant au-dessus de la surface de l’eau.
Soudain, une gigantesque baleine émergea juste devant lui. Il fut si effrayé qu’il se jeta dans sa gueule. L’obscurité régna un instant autour de lui. Il ne perçut que clapotis et frémissements. Alors qu’il pensait mourir, il tomba dans une maison charmante où régnaient lumière et chaleur. Sur la plateforme était assise une jeune fille qui prenait soin d’une lampe à huile. Elle se leva et l’accueillit en ces termes :
— Tu es le bienvenu ici, mais tu dois seulement me jurer une chose, tu ne toucheras jamais à ma lampe.
Le corbeau, ravi d’avoir sauvé sa vie, s’empressa de la rassurer, il ne toucherait jamais à la lampe et s’assit sur la plateforme. Il fut émerveillé par la splendeur et la propreté de la petite maison. Elle ressemblait à une maison d’hommes. Tout était aménagé à la manière des hommes.
Pourtant, la jeune fille présentait une agitation étrange. Elle ne restait jamais assise très longtemps. Elle se levait fréquemment et se faufilait dans l’entrée. Cela ne durait jamais longtemps. Elle revenait ensuite mais, presque aussitôt, elle repartait.
— Qu’est-ce qui te rend donc si inquiète ? demanda le corbeau.
— La vie ! répondit la jeune fille. La vie et mon souffle, reprit-elle, mais il ne comprit pas du tout le sens de cette réplique.
Le corbeau s’était maintenant reposé. Sa peur n’était plus qu’un mauvais souvenir et il commençait à devenir curieux.
— Pourquoi ne puis-je donc pas toucher à cette lampe ? se demanda-t-il.
Et chaque fois que la jeune fille se faufilait dehors, le laissant seul, son envie de trahir sa promesse et d’aller picorer juste un tout petit, juste un tout petit morceau de graisse de la lampe devenait de plus en plus grande.
Finalement, il ne put maîtriser plus longtemps sa curiosité. Au moment où la jeune fille se glissa de nouveau dehors, il bondit et picora les rebords de la lampe. Au même instant, la tête de la jeune fille roula dans l’entrée et la lampe s’éteignit. Le corbeau comprit trop tard ce qu’il avait fait. Il tâtonnait dans l’obscurité, mais la belle maison avait disparu. Il était sur le point d’étouffer, battant des ailes parmi le sang et la graisse. La chaleur était si intense qu’il en perdait son plumage.
A moitié asphyxié, il culbutait et tournoyait il culbutait et tournoyait dans le ventre de la baleine. Il avait enfin compris ce qui était arrivé : la jeune fille était l’âme de la baleine et se glissait à l’air libre chaque fois que la baleine devait respirer; la lampe à la longue et douce flamme représentait son coeur.
Par pure curiosité, le corbeau avait picoré le coeur de la jeune fille qui avait succombé. Il ignorait que ce qui est beau et délicat est également fragile et facile à détruire, tant il était stupide et obstiné.
Maintenant, il luttait pour sauver sa vie, se débattant dans le sang et l’obscurité. Finalement, il réussit à s’échapper en empruntant le même chemin qu’à l’arrivée. Il s’assit à moitié nu, couvert de graisse et tout sale, sur le dos de la baleine.
Il resta là, vivant de charogne, tandis que le vent et les vagues les ballottaient. Il ne pouvait plus voler car ses ailes étaient tout abîmées par la chaleur et le sang. Une tempête les poussa finalement vers le rivage et les hommes voyant le cadavre de la baleine prirent leurs umiaq et ramèrent vers le large pour se procurer viande et graisse. Quand le corbeau les vit, il se transforma instantanément en homme, un petit homme laid, tout souillé et fripé, debout sur le dos de la baleine.
Il ne révéla pas que, par une sotte curiosité, il avait profané un coeur et détruit quelque chose de beau et de précieux; il criaillait simplement, triomphant :
— C’est moi qui ai tué la baleine, c’est moi qui ai tué la baleine !
Et il devint un grand homme parmi les hommes.
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